Peinture de Igor Morski
Les hommes aiment entendre ce qu’ils ont coutume d’entendre en eux-mêmes. Sont-ils parvenus à un stade où la sagesse les insupporte ? Les voici à grincer des dents. Les hommes aiment ce qui confirme leur bruit intérieur et confondent compassion avec conformité. Surtout, ne t’avise pas de déranger un homme imbu de lui-même, il deviendra aussitôt ton ennemi. Est-il seulement un homme, lors qu’en proie à son égocité, il préfère mille fois écouter les mensonges ? Il élabore depuis des milliers d’années la plus grande des toiles afin que, dans l’inextricable, il puisse assurer sa fuite perpétuelle : le voici à créer la suprême illusion de sorte que soient libérées ses déviances les plus improbables. Mais qui espère-t-il tromper ? L’homme est querelleur et n’aspire pas à entendre ce qui le met dans l’inconfort. Ne le vois-tu pas sans cesse se hérisser ? Comment peut-il donc plier les distances et comprendre qu’en réalité, c’est lui qu’il trompe ? Les hommes avancent dans la brume et espèrent s’y maintenir. Tel est leur subterfuge. Ils préfèrent mille fois demeurer dans la négation, plutôt que de s’éveiller et de voir enfin la réalité. Donne-leur de quoi s’étourdir. Seulement, la Roue tourne.
Dans les tourmentes même de son sommeil profond, l’homme devient le pire des tyrans. Il asservit les corps, ils dominent les mentaux et les cœurs ; il corrompt la terre et les cieux. Que ne ferait-il pas pour se prétendre le plus fort ? Est-il à ce point insensé pour détaler devant la vérité ? N’est-il plus que l’idée à peine formuler de lui-même dans laquelle il s’est enfermé ? N’est-il plus qu’un jet de pierres dans les fracas de son être ?
Quant à la spiritualité de nos jours, n’est-elle pas elle-même devenue une parodie éhontée? Si le prétendant n’ôte pas ses deux sandales, s’il brait tel un âne au milieu de la foule, s’il bombe son torse comme le singe, qu’a-t-il fait de sa foi ? Est-elle, à l’image d’un immense bazar, le miroir de son incohérence ? La religion, la spiritualité, la Voie intérieure sont à l’opposé de toutes projections égotiques. Tant que le prétendant est orgueilleux, il sera le prétendant à son orgueil. Je les vois, les uns et les autres, à qui mieux mieux, vociférer dans les marchés et les foires de la spiritualité. Des prétendus manteaux qui couvrent à peine la supercherie. Les hommes sont de prodigieux et incroyables illusionnistes. Que n’ont-ils développé de stratégies pour se donner le change ! Mais qui espèrent-ils tromper ? Je m’étonne de la gloriette de certains qui brandissent sans cesse leur dieu, telle l’effigie de leur vanité. La plus grande des idolâtries est de croire précisément détenir la vérité. Certaines certitudes sont la preuve même de l’ignorance. Tant que l’homme invoquera le Seigneur pour lui, alors, je le dis sans réserve : il n’a pas encore mis le moindre orteil dans la Vallée sacrée. Tandis que les uns et les autres s’estiment les meilleurs, ils ne connaissent pas ce qu’est la véritable compassion. Celle-ci n’a qu’une seule réalité : abattre l’égocité. Un atome d’orgueil dans le cœur de l’homme est un atome de trop. Tant que l’homme cherchera le Royaume de Dieu à l’extérieur de lui-même, il sera à s’enfermer dans la plus terrifiante des illusions.