« L’homme qui revient après avoir franchi la Porte dans le Mur ne sera jamais tout à fait le même que l’homme qui y était entré. Il sera plus sage, mais moins prétentieusement sûr ; plus heureux, mais moins satisfait de lui ; plus humble en reconnaissant son ignorance, et pourtant mieux équipé pour comprendre les rapports entre les mots et les choses, entre le raisonnement systématique et le Mystère insondable dont il essaye, à jamais et en vain, d’avoir la compréhension. » Les Portes de la perception, Aldous Huxley.
D’après Mourra, ‘Abdallah Ibn Mas’oud (qu’Allah l’agrée) a dit : « Certes tant que tu es entrain de prier, tu es entrain de taper à la porte du Roi et celui qui n’arrête pas de taper à la porte du Roi est sur le point que la porte lui soit ouverte ».
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Nous étions très peu nombreux, presque inexistants au sein du mouvement incessant. Nous n’avions pas cherché la singularité. Elle était là. A force de cesser toute activité, à force de tendre tout entier vers Cela, nous nous heurtions à ce qui nous ne comprenait pas. Nous ne cherchions ni ceci, ni cela. Nous étions entrés dans l’indicible, ce qui venait cogner à notre porte. Nous pouvions entendre ces coups y marteler. Ils étaient tantôt violents, et tantôt d’une invincible douceur. Il s’agissait de l’Appel qui rayonnait et se riait de nous, nous entraînant dans une ronde, à la fois étourdissante et d’une lucidité extrême. L’on entendait la scie d’un grand Saint* qui se mettait à parler et répéter : Tu n’es pas fait pour cela, non, tu n’es pas fait pour cela. Suave message, crucial rappel. Et l’on se mettait à courir, ici ou là. Qu’est-ce ceci ? Qui m’appelle ? Comment se frayer un passage au sein d’un décor ? Nous étions hébétée. Le décor était seulement un décor et nous en avions une vive acuité. Les silhouettes passent. Mais, qu’est-ce ceci ? Je te parle, es-tu mon semblable ? Pourquoi me regardes-tu avec ces grands yeux ? Me voici à marcher. La marche est en nous. Le corps s’est levé, mais de quel corps s’agit-il ? Ô Beauté ! Les secondes se décuplent et le monde grossit à vue d’œil. Quelle est donc cette perception, au-delà des formes sensibles ? Quel est donc ce feu ardent, cette voix ? Je lis les parchemins d’une ligne invisible. La voix est son et recueil. En l’écoutant, en faisant un pas, puis un autre, les mots révèlent leurs douces effluves. Une lettre, puis de l’ombre à la lumière, l’Essence. Les yeux se sont écarquillés, ces yeux du cœur et Ô Toi, laisse-moi franchir le seuil ! Qu’est-ce ceci ? Suis-je hors de moi, ou bien ai-je perçu ce que les yeux ne perçoivent pas ? Ô Toi, laisse-moi vivre en Toi !
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Notes : * Allusion à Cheikh Arslân qui entra dans le monde des perceptions subtiles par une rupture de la physique et devint un grand initié soufi.