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La parole est un prétexte : ce qui attire l’homme vers l’homme c’est l’affinité qui les lie, et non la parole.
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Rumi, Le Livre du Dedans
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La parole est un prétexte : ce qui attire l’homme vers l’homme c’est l’affinité qui les lie, et non la parole.
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Rumi, Le Livre du Dedans
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Abû Bakra rapporte ces paroles de l’Envoyé : « Certes, il y aura des troubles ! Certes, il y aura des troubles ! Pendant ces troubles, celui qui est assis sera meilleur que celui qui est debout, celui qui est debout, meilleur que celui qui marche, celui qui marche, meilleur que celui qui court pour y prendre part. Quand ils auront éclaté, que celui qui possède un troupeau de chameaux s’occupe de ses chameaux ; que celui qui possède un troupeau de mouton s’occupe de ses moutons et que celui qui possède une terre s’occupe de sa terre !
– Et ceux qui n’ont ni chameaux, ni chevaux, ni terre, que feront-ils ?
– Qu’ils prennent leur sabre et le cassent contre une pierre, et qu’ils se préservent des troubles s’ils le peuvent ! Mon Dieu, ai-je bien fait parvenir le message ? Mon Dieu, ai-je bien fait parvenir le message ?
Un autre demanda :
– Et si l’on me force à me ranger du côté d’un des belligérants et que l’un des combattants me frappe de son sabre ou que je sois tué d’une flèche ?
– Il devra répondre de son péché et du tien, et sera d’entre les gens du feu. »
Un hadîth semblable, rapporté par Sa’d b. abî Waqqâs, contient ce rajout :
– « Ô Envoyé de Dieu, s’il vient à entrer chez moi et lève son bras sur moi pour me tuer ?
– Sois comme le meilleur des fils d’Adam, répondit-il, puis il me lut le verset : Si tu lèves la main sur moi pour me tuer, je ne ferai pas de même, car je crains Dieu, le Souverain des mondes ! « (Cor, 5, 28)
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Tiré du livre Les signes de la Fin des Temps, dans la Tradition islamique, présenté et traduit de l’arabe par Dominique Penot, aux Editions Alif.
Rien ni personne n’est plus à la place où il devrait être normalement ; les hommes ne reconnaissent plus aucune autorité effective dans l’ordre spirituel, aucun pouvoir légitime dans l’ordre temporel ; les «profanes» se permettent de discuter des choses sacrées, d’en contester le caractère et jusqu’à l’existence même ; c’est l’inférieur qui juge le supérieur, l’ignorance qui impose des bornes à la sagesse, l’erreur qui prend le pas sur la vérité, l’humain qui se substitue au divin, la terre qui l’emporte sur le ciel, l’individu qui se fait la mesure de toutes choses et prétend dicter à l’univers des lois tirées tout entières de sa propre raison relative et faillible. « Malheur à vous, guides aveugles », est-il dit dans l’Évangile ; aujourd’hui, on ne voit en effet partout que des aveugles qui conduisent d’autres aveugles, et qui, s’ils ne sont arrêtés à temps, les mèneront fatalement à l’abîme où ils périront avec eux.
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S’il est un livre à lire, sur lequel il semble nécessaire de méditer, de travailler en soi, d’accueillir afin d’accueillir, y compris sa propre défaite, je dirais, qu’avant de considérer que nous sommes à l’intérieur, nous devrions considérer ce qui n’est pas notre réalité, et il s’agit bien de cette œuvre synthétisante, éclairante, intègre, qui ne saurait nous tromper.
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Un des caractères particuliers du monde moderne, c’est la scission qu’on y remarque entre l’Orient et l’Occident ; et, bien que nous ayons déjà traité cette question d’une façon plus spéciale, il est nécessaire d’y revenir ici pour en préciser certains aspects et dissiper quelques malentendus. La vérité est qu’il y eut toujours des civilisations diverses et multiples, dont chacune s’est développée d’une façon qui lui était propre et dans un sens conforme aux aptitudes de tel peuple ou de telle race ; mais distinction ne veut pas dire opposition, et il peut y avoir une sorte d’équivalence entre des civilisations de formes très différentes, dès lors qu’elles reposent toutes sur les mêmes principes fondamentaux, dont elles représentent seulement des applications conditionnées par des circonstances variées. Tel est le cas de toutes les civilisations que nous pouvons appeler normales, ou encore traditionnelles ; il n’y a entre elles aucune opposition essentielle, et les divergences, s’il en existe, ne sont qu’extérieures et superficielles. Par contre, une civilisation qui ne reconnaît aucun principe supérieur, qui n’est même fondée en réalité que sur une négation des principes, est par là même dépourvue de tout moyen d’entente avec les autres, car cette entente, pour être vraiment profonde et efficace, ne peut s’établir que par en haut, c’est-à-dire précisément par ce qui manque à cette civilisation anormale et déviée. Dans l’état présent du monde, nous avons donc, d’un côté, toutes les civilisations qui sont demeurées fidèles à l’esprit traditionnel, et qui sont les civilisations orientales, et, de l’autre, une civilisation proprement antitraditionnelle, qui est la civilisation occidentale moderne.
Pourtant, certains ont été jusqu’à contester que la division même de l’humanité en Orient et Occident corresponde à une réalité ; mais, tout au moins pour l’époque actuelle, cela ne semble pas pouvoir être sérieusement mis en doute. D’abord, qu’il existe une civilisation occidentale, commune à l’Europe et à l’Amérique, c’est là un fait sur lequel tout le monde doit être d’accord, quel que soit d’ailleurs le jugement qu’on portera sur la valeur de cette civilisation. Pour l’Orient, les choses sont moins simples, parce qu’il existe effectivement, non pas une, mais plusieurs civilisations orientales ; mais il suffit qu’elles possèdent certains traits communs, ceux qui caractérisent ce que nous avons appelé une civilisation traditionnelle, et que ces mêmes traits ne se trouvent pas dans la civilisation occidentale, pour que la distinction et même l’opposition de l’Orient et de l’Occident soit pleinement justifiée. Or il en est bien ainsi, et le caractère traditionnel est en effet commun à toutes les civilisations orientales, pour lesquelles nous rappellerons, afin de mieux fixer les idées, la division générale que nous avons adoptée précédemment, et qui, bien que peut-être un peu trop simplifiée si l’on voulait entrer dans le détail, est cependant exacte quand on s’en tient aux grandes lignes : l’Extrême-Orient, représenté essentiellement par la civilisation chinoise ; le MoyenOrient, par la civilisation hindoue ; le Proche-Orient, par la civilisation islamique. Il convient d’ajouter que cette dernière, à bien des égards, devrait plutôt être regardée comme intermédiaire entre l’Orient et l’Occident, et que beaucoup de ses caractères la rapprochent même surtout de ce que fut la civilisation occidentale du moyen âge ; mais, si on l’envisage par rapport à l’Occident moderne, on doit reconnaître qu’elle s’y oppose au même titre que les civilisations proprement orientales, auxquelles il faut donc l’associer à ce point de vue.
Discours prononcé en 1854 par Seattle (v. 1786-1866), chef des tribus Duwamish et Suquamish, devant le gouverneur Isaac Stevens.
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Comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre ?
L’idée nous paraît étrange. Si nous ne possédons pas la fraîcheur de l’air et le miroitement de l’eau, comment est-ce que vous pouvez les acheter ?
Chaque parcelle de cette terre est sacrée pour mon peuple.
Chaque aiguille de pin luisante, chaque rive sableuse, chaque lambeau de brume dans les bois sombres, chaque clairière et chaque bourdonnement d’insecte sont sacrés dans le souvenir et l’expérience de mon peuple.
La sève qui coule dans les arbres transporte les souvenirs de l’homme rouge.
Les morts des hommes blancs oublient le pays de leur naissance lorsqu’ils vont se promener parmi les étoiles. Nos morts n’oublient jamais cette terre magnifique, car elle est la mère de l’homme rouge. Nous sommes une partie de la terre, et elle fait partie de nous. Les fleurs parfumées sont nos sœurs ; le cerf, le cheval, le grand aigle, ce sont nos frères. Les crêtes rocheuses, les sucs dans les prés, la chaleur du poney, et l’homme, tous appartiennent à la même famille.
« […] dans l’Islam, nous rencontrons l’épisode du « voyage nocturne » de Mohammed, comprenant pareillement la descente aux régions infernales (isrâ), puis l’ascension dans les divers paradis ou sphères célestes (mirâj) ; et certaines relations de ce « voyage nocturne » présentent avec le poème de Dante des similitudes particulièrement frappantes, à tel point que quelques-uns ont voulu y voir une des sources principales de son inspiration. Don Miguel Asîn Palacios a montré les multiples rapports qui existent, pour le fond et même pour la forme, entre la Divine Comédie (sans parler de certains passages de la Vita Nuova et du Convito), d’une part, et d’autre part, le Kitâb el-isrâ (Livre du Voyage nocturne) et les Futûhât el-Mekkiyah (Révélations de la Mecque) de Mohyiddin ibn Arabi, ouvrages antérieurs de quatre-vingts ans environ, et il conclut que ces analogies sont plus nombreuses à elles seules que toutes celles que les commentateurs sont parvenus à établir entre l’œuvre de Dante et toutes les autres littératures de tout pays. En voici quelques exemples : « Dans une adaptation de la légende musulmane, un loup et un lion barrent la route au pèlerin, comme la panthère, le lion et la louve font reculer Dante… Virgile est envoyé à Dante et Gabriel à Mohammed par le Ciel ; tous deux, durant le voyage, satisfont à la curiosité du pèlerin. L’Enfer est annoncé dans les deux légendes par des signes identiques : tumulte violent et confus, rafale de feu… L’architecture de l’Enfer dantesque est calquée sur celle de l’Enfer musulman : tous deux sont un gigantesque entonnoir formé par une série d’étages, de degrés ou de marches circulaires qui descendent graduellement jusqu’au fond de la terre ; chacun d’eux recèle une catégorie de pécheurs, dont la culpabilité et la peine s’aggravent à mesure qu’ils habitent un cercle plus enfoncé. Chaque étage se subdivise en différents autres, affectés à des catégories variées de pécheurs ; enfin, ces deux Enfers sont situés tous les deux sous la ville de Jérusalem…
Je vous propose de lire attentivement ce texte, qui sans présenter des solutions concrètes, ni même correspondre entièrement et dans l’absoluité à ma lecture du monde, met l’accent sur une bien triste et avérée réalité. Compte tenu de sa longueur, cet écrit sera publié en plusieurs fois.
L’héritage de Guy Debord :
A s’en tenir à leur position sur l’échiquier idéologique, la filiation entre Muray et Debord ne paraît pas évidente. Le premier est présenté par ses détracteurs comme un « anar de droite », le second comme un gauchiste révolutionnaire. Le premier répète à l’envi que « tout, absolument tout est foutu » (refrain connu des vieux réac, pour qui tout était mieux avant), le second assène à qui veut l’entendre qu’il faut « faire place nette », détruire toutes les idoles pour installer une civilisation radicalement nouvelle (scie habituelle des marxistes). Si l’on passe néanmoins par-dessus ces divergences idéologiques (en fait, ni l’un ni l’autre ne se pense en acteur politique, chacun se voit en pamphlétaire) on s’aperçoit qu’il y a moins solution de continuité entre ces deux pensées, que prolongation et approfondissement d’une lecture critique de la société, à travers un savant démontage de sa mise en scène. Guy Debord (1931-1994), écrivain et cinéaste d’avant-garde, se fait remarquer en 1967 avec la publication d’un essai intitulé La Société du Spectacle dans lequel il tente de montrer que le « spectacle », c’est-à-dire la représentation médiatisée de la réalité (via la pub, la télé, la presse, l’édition, la culture, le cinéma, la mode, et plus généralement l’industrie des loisirs), se substitue à la réalité elle-même. Debord situe son analyse dans le prolongement de Marx et de Lukács, c’est-à-dire qu’il reprend la notion d’aliénation des masses par la fétichisation de la marchandise.
Je vous propose de lire attentivement ce texte, qui sans présenter des solutions concrètes, met l’accent sur une bien triste et avérée réalité. Compte tenu de sa longueur, cet écrit sera publié en plusieurs fois.
INTRODUCTION :
Au moment où j’écris ces lignes (7 mars 2012), je reçois, comme des centaines d’autres internautes, un email d’Interflora rédigé comme suit : « J-1 avant la journée de la Femme : offrez un bouquet aux femmes qui vous sont chères ». A première vue, il y a tout lieu de se réjouir d’être averti d’un tel événement : n’est-ce pas l’occasion rêvée, en obtempérant à cette suggestion d’achat, de faire plaisir à la femme qu’on aime tout en célébrant, plus généralement, le sexe auquel elle appartient ? Et pourtant, d’où vient qu’on ne puisse se départir d’une espèce de malaise en lisant ce mail. Est-ce que cela vient du caractère injonctif de l’exhortation « offrez un bouquet ! » qui, en jouant sur la corde sentimentale, cherche à m’extorquer quelques sous pour un bouquet de roses ? De l’aspect intrusif du message (« mais de quoi se mêlent-ils ? ») ? Ou est-ce que cela ne vient pas plutôt de la forme d’ultimatum (« J-1 ») donnée à l’information à propos d’une fête que je respecte mais que je n’ai pas forcément envie de fêter à l’unisson de l’univers ? De tout cela à la fois aurait dit feu Philippe Muray, qui aurait ajouté que la source du malaise est plus certainement encore dans le sentiment diffus qu’il est plus que jamais impossible à quiconque d’échapper à l’idéologie des bons sentiments, impossible – sauf à s’isoler sur une île déserte – d’obvier à l’applaudissement obligatoire des grandes Causes humanistes : de la lutte contre la discrimination à la bataille contre le tabac, en passant par la mobilisation contre la guerre, les manifs contre le nucléaire, la commémoration de la Révolution française, et… la célébration de la journée de la Femme. Pour Philippe Muray, notre civilisation est atteinte d’un mal aussi étrange que paradoxal, qui n’est autre que… la passion du Bien.
(…)
Alors il embrassa les hommes qui l’avaient accueilli et revint au monastère en courant et pleurant. « Taptuk me pardonnera-t-il d’avoir douté de lui ? » se disait-il, buvant le vent. « Me pardonnera-t-il jamais ? » Il parvint à la nuit tombée à la porte vermoulue qui fermait la palissade. Il cogna du poing, appelant et demandant pitié. Le visage de l’épouse de Taptuk apparut au-dessus du mur.
« — Te voilà revenu, Yunus», dit-elle doucement. « Pauvre enfant, je ne sais si Taptuk t’acceptera à nouveau parmi nous. Ton départ l’a désespéré.» « Quel malheur, m’a-t-il dit, mon fils le plus cher m’a quitté. Que vaut ma vie désormais ? » « Je vais t’ouvrir. Tu te coucheras dans la poussière de la cour. Demain, quand ton maître fera sa promenade du matin, il butera du pied contre ton corps. S’il dit : « Qui est cet homme ? », alors tu devras partir pour toujours. S’il dit : « Est-ce là notre bon Yunus ? », alors tu sauras que tu peux à nouveau vivre en sa présence. Entre, mon fils. »
Yunus se coucha dans la poussière de la cour. Au jour revenu, il vit s’approcher Taptuk l’aveugle au bras de son épouse. Il ferma les yeux, sentit un pied contre son flanc, entendit :
« — Est-ce là notre bon Yunus ? »
Il se leva, ébloui de lumière et de bonheur, courut à son balai et se remit à balayer la cour.
Ainsi fit-il jusqu’à sa mort, sans faillir un seul jour. Quand il fut devenu semblable à la poussière mille fois envolée, ses chants s’élevèrent, envahirent les lieux où vivaient les hommes et les nourrirent avec tant de persévérante bonté qu’aujourd’hui encore neuf villages, en Anatolie, revendiquent le privilège d’avoir sur leur territoire la vraie tombe de Yunus Emré, l’homme que Taptuk l’aveugle illumina.
Henry Gougaud-Histoire de Yunus Emré
(…)
Cependant sa confiance en Taptuk peu à peu le quitta. Cet homme, décidément, l’avait trompé. Il n’avait jamais eu l’intention de lui apprendre ce qu’il avait pourtant promis. « Je perds ma vie à espérer », se dit-il. Cinq ans encore, il balaya la cour en fredonnant, sans que nul ne l’écoute. Un soir, fatigué de cette existence de pauvre hère et convaincu que personne ne s’apercevrait de son absence, il décida de quitter ce lieu où il n’avait trouvé, après quinze années d’humble patience, qu’amertume et mélancolie. Il s’en fut donc dans la nuit, droit devant lui. Il marcha jusqu’à l’aube, ivre de liberté sans espoir. Il eut faim et soif, mais il n’y avait nulle source où s’abreuver, nul abri où refaire ses forces dans cet infini désert d’herbes jaunies, de cailloux et de vent. « Je vais mourir, se dit-il. Qu’importe ! Mieux vaut mourir en marchant qu’en balayant la cour d’un fou. » Il marcha donc trois journées entières.
Au soir du troisième jour, comme il allait se coucher sur un roc pour offrir son corps exténué aux vautours, il aperçut, au loin, un campement. Il s’étonna. Aucun voyageur ne se risquait jamais dans ces contrées. Qui pouvaient être ces gens ? Il s’approcha. Il vit des hommes assis au seuil d’une tente aux voilures amples. Ils festoyaient en riant et parlant fort. Dès qu’ils l’aperçurent, ils lui firent signe et, à grands cris joyeux, l’invitèrent à partager leurs provisions. Des fruits luisants, des galettes dorées, des rôtis odorants, des boissons de toutes couleurs dans des flacons de verre étaient à profusion étalés devant eux, sur un tapis de laine. Yunus prit place en leur compagnie, but, mangea, osa enfin demander à ces gens par quel miracle, dans ce méchant désert, ils se trouvaient ainsi pourvus en nourritures si délicates qu’il n’en avait jamais goûté de pareilles.
« — Une voix nous a conduits ici », lui dirent-ils. « Assurément c’est le meilleur endroit du monde. Le vent tous les jours nous apporte du lointain les chants d’un derviche inconnu. Il nous suffit de les écouter, de les chanter nous-mêmes. Aussitôt apparaissent devant nous tous ces mets succulents que vous voyez là. Nous serions fous d’aller vivre ailleurs. »
Yunus s’extasia, avoua qu’il ne comprenait rien à pareille magie et osa enfin demander à ses compagnons si, par extrême bonté, ils pourraient lui apprendre ces chants nourriciers, afin qu’il ne meure pas de faim dans cette steppe où il devait aller seul.
« — Volontiers », répondirent les hommes. Et ils se mirent à chanter. Alors Yunus, bouleversé, les yeux ronds et la bouche ouverte, entendit les chants qu’il avait lui-même fredonnés, cinq ans durant, en balayant la cour du monastère. Il reconnut les paroles sorties de ses lèvres dans le seul désir de tromper la solitude, les musiques montées de son cœur dans le seul espoir d’alléger sa mélancolie. Elles étaient son œuvre. Sur l’instant il comprit pour quel travail il était en ce monde, il goûta la pure vérité de son âme et il souffrit la pire honte, songeant à Taptuk qui l’avait instruit, sans qu’il n’en devine rien, comme un fils infiniment aimé.
(A suivre)
Henry Gougaud-Histoire de Yunus Emré