La pensée du jour : Lao Tseu

Lao Tseu

以正治國,以奇用兵,以無事取天下。吾何以知其然哉?以此:天下多忌諱,而民彌貧;民多利器,國家滋昏;人多伎巧,奇物滋起;法令滋彰,盜賊多有。故聖人云:我無為,而民自化;我好靜,而民自正;我無事,而民自富;我無欲,而民自樸

Avec la droiture, on gouverne le royaume ; avec la ruse (1), on fait la guerre ; avec le non-agir, on devient le maître de l’empire (2).

Comment sais-je qu’il en est ainsi de l’empire (3) ? Par ceci.

Plus le roi (4) multiplie les prohibitions et les défenses (5), et plus le peuple s’appauvrit ;

Plus le peuple a d’instruments de lucre (6), et plus le royaume se trouble ;

Plus le peuple (7) a d’adresse et d’habileté, et plus l’on voit fabriquer d’objets bizarres ;

Plus les lois se manifestent, et plus les voleurs s’accroissent (8).

C’est pourquoi le Saint (9) dit : Je pratique le non-agir, et le peuple se convertit de lui-même.

J’aime la quiétude, et le peuple se rectifie de lui-même (10).

Je m’abstiens de toute occupation (11), et le peuple s’enrichit de lui-même.

Je me dégage de tous désirs, et le peuple revient de lui-même à la simplicité (12).

Lao Tseu, Tao Te King /Chapitre 57 (traduit par Stanislas Julien)

Lire la suite

Ab origine fidelis

81PuSpYaSbLIllustration de couverture du livre Le Cycle de l’Humanité Adamique

L’on n’est jamais trop sûr de soi-même, encore moins
D’autrui ; dès lors, c’est en Dieu seul qu’est l’assurance
Et l’on est de cela pour soi-même le témoin ;
Vers qui, sinon, aller porter son espérance ?

Certains disent, péremptoires : Je ne crois pas en Dieu
Mais en l’homme, paroles d’inspiration prométhéenne
Qui exposent à se retrouver sans feu ni lieu.
Tous les paradis promis finirent en géhennes.

Si l’homme est la valeur étalon, qu’on nous dise
Quelles en sont tant la mesure que le fondement.
Oui, quel homme pour faire tourner le monde rondement,

Tandis qu’il est plutôt partout de folie prise ?
Quant à croire en soi-même, il faut se connaître
Et donc pénétrer toute l’essence de son être.

Marc

Ab origine fidelis : « Fidèle à ses origines. Ne pas oublier d’où l’on vient. »

De l’unicité de l’être

Connaissance transcendante copy

« Rien ne vient pour Toi de personne ;
rien ne vient de Toi pour personne ;
tout vient de Toi pour Toi, Tu es tout et c’est tout. »

Cheikh Ansârî (1006-1089, Khorassan)

« Je ne suis nulle part un quelque chose pour quelqu’un.
Il n’est nulle part, pour moi, un quelque chose d’un quelqu’un. »

Visudhi Magga, chapitre XXI
(ouvrage du canon des Théravuda, hinayâna)

Fugit irreparabile tempus

the passage of time

 

« Une main sert à tout sauf à retenir le temps. (1)
Temps vient et temps passe, fol est qui ne se compasse… » (2)
Est-il chose plus insaisissable que l’instant ?
Pourtant, celui que l’on manque jamais ne repasse !

« Le moment où je parle est déjà loin de moi. »
Écrit Boileau en ses Épîtres. (3) Mes chers frères,
Vivre à la hâte finit dans le désarroi
Car c’est une suite d’impasses que le temps linéaire.

Mais qu’est-ce donc, vivre dans le temps vertical,
Sinon de regarder ce qui en soi demeure,
Sans être altéré par la ronde des heures !

Et c’est bien de ce retournement radical
Qu’il est question, quand une voix crie dans le désert :
« Convertissez-vous ! » (4) Cessez de vivre à l’envers…

Frère Eugène

5.1.3

Fugit irreparabile tempus : Le temps fuit, irréparable.

(1) Proverbe hindou, Livre des sagesses des Purânas.
(2) Proverbe français, Le Livre des proverbes français, 1859.
(3) Nicolas Boileau (1636-1711), Épîtres (1669 à 1695).
(4) Jean le Baptiste dit le Précurseur, Évangile selon saint-Matthieu. Convertir signifie « se tourner ensemble (comme un) vers l’intérieur », donc hors du monde de la projection. L’adverbe « ensemble » est formé d’après l’ancienne racine indo-européenne « sem » qui désignait originellement l’identité puis l’unité (L’Un et Même).

Le Hsin-Hsin-Ming (7) et fin

symbole-bouddhisme-noeud-eternel
Symbole bouddhiste du Nœud éternel (ou nœud sans fin) représentant la dépendance et l’interdépendance de tous les phénomènes, ainsi que la loi de cause à effet et l’union de la compassion et de la sagesse.

.

Le Xinxin Ming ou Hsin-Hsin-Ming (Inscrit sur l’esprit croyant) est le nom chinois d’un poème du bouddhisme zen attribué au patriarche chinois Sengcan au VIe siècle. Ce plus ancien texte sacré du zen est basé sur l’enseignement de la non-dualité. En voici la dernière partie.
.

L’infiniment petit est aussi vaste que peut l’être l’immensité,
Lorsque les conditions extérieures sont oubliées ;
L’infiniment grand est aussi petit que l’infiniment petit peut l’être,
Lorsque les limites objectives sont reléguées hors de la vue.

Ce qui est est la même chose que ce qui n’est pas.
Ce qui n’est pas est la même chose que ce qui est :
Lorsque cet état de choses manque de se produire,
Ne vous attardez surtout pas.

Un en tout,
Tout en un.
Si seulement cela est réalisé,
Ne vous tourmentez plus sur votre imperfection !

L’esprit croyant n’est pas divisé,
Et indivisé est l’esprit croyant.
C’est là que les mots sont impuissants,
Car cela n’est pas du passé, de l’avenir ni du présent.

.
Cité par Daisetz Teitaro Suzuki (1870-1966) en son Essais sur le Bouddhisme Zen, tome 1
traduit sous la direction de Jean Herbert (1897-1980).
.
Nous proposons au lecteur un lien vers une traduction sans doute moins difficile d’accès :

Xin Xin Ming de Seng Ts’an Sosan

Le Hsin-Hsin-Ming (6)

Siddartha Gautama

Le Xinxin Ming ou Hsin-Hsin-Ming (Inscrit sur l’esprit croyant) est le nom chinois d’un poème du bouddhisme zen attribué au patriarche chinois Sengcan au VIe siècle. Ce plus ancien texte sacré du zen est basé sur l’enseignement de la non-dualité.

 

L’ultime but des choses, là où elles ne peuvent pas aller plus loin,
N’est pas limité par les règles et les mesures ;
L’esprit en harmonie avec la Voie est le principe d’identité
Où nous trouvons toutes les actions dans un état de quiétude ;
Les irrésolutions sont complètement chassées
Et la juste foi est restaurée dans sa droiture originelle ;
Rien n’est retenu maintenant,
Il n’est plus rien dont on doive se souvenir,
Tout est vide, lucide, et porte en soi un principe d’Illumination.

Il n’y a pas de tâche, pas d’effort, pas de gaspillage d’énergie.
Voici où la pensée ne parvient jamais,
Voici où l’imagination ne parvient pas à évoluer.

Dans le plus haut royaume de l’Essence vraie,
Il n’y a ni « autre » « ni soi ».
Lorsqu’on réclame une identification directe,
Nous ne pouvons que dire « Pas deux ».

En n’étant pas deux tout est le même,
Et tout ce qui est s’y trouve compris :
Dans les dix quartiers de la terre,
Tous les sages entrent dans cette foi absolue.

Cette foi absolue est au-delà de l’accélération (temps) et de l’extension (espace).
Un instant y est dix mille années.
Peu importe comment les choses sont conditionnées,
Que ce soit par « être » ou « ne pas être »,
Tout cela est manifeste partout devant vous.

à suivre

Cité par Daisetz Teitaro Suzuki (1870-1966) en son Essais sur le Bouddhisme Zen, tome 1
traduit sous la direction de Jean Herbert (1897-1980).

 

Se lit aussi sur Noblesse et Art de l’écu

om tibet copy

Apocalypsis 1 – Ouverture

Burckhardt-Wildt_Apocalypse_-_Lamb_2_(Christie's)Miniature de l’Apocalypse de Burckhardt-Wildt (1295)

 

Le mot « apocalypse » veut dire « révélation »
Et ne se réduit pas au sens de « catastrophe »,
Ce qui n’exclut pas une possible relation.
Sans vouloir d’une antienne chanter les mêmes strophes,

Je pose ici les fruits de ma méditation.
Nous observons à quel point les gens se révèlent,
Se voulant vivre avec précipitation,
Sans cesse à la recherche de sensations nouvelles.

Point de vie intérieure, des psychiques excentrés ;
Un narcissisme que la technique exacerbe ;
Des masses grégaires d’individus égocentrés ;

L’avoir donnant l’être, grâce au pouvoir d’achat ;
D’une réussite mondaine l’on promène sa superbe ;
Une langue minimale où le chat n’est plus un chat.

 

Frère Eugène

5.1.3

Le Hsin-Hsin-Ming (2)

dualité

Le Xinxin Ming ou Hsin-Hsin-Ming (Inscrit sur l’esprit croyant) est le nom chinois d’un poème du bouddhisme zen attribué au patriarche chinois Sengcan au VIe siècle. Ce plus ancien texte sacré du zen est basé sur l’enseignement de la non-dualité.

 

Phraséologie, jeux de l’intellect,
Plus nous nous y adonnons et plus loin nous nous égarons.
Éloignons-nous donc de la phraséologie et des jeux de l’intellect,
Et il n’est nulle place où nous ne puissions librement passer.

Lorsque nous remontons à la racine, nous obtenons le sens ;
Lorsque nous poursuivons les objets extérieurs, nous perdons la raison.
Au moment où nous sommes Illuminé en nous-même,
Nous dépassons le vide du monde qui s’oppose à nous.

Les transformations qui se déroulent dans le monde vide qui se trouve devant nous
Semblent toutes réelles à cause de l’Ignorance ;
N’essayez pas de chercher la vérité,
Cessez simplement de vous attacher à des opinions.

Ne vous attardez pas dans le dualisme,
Évitez avec soin de le poursuivre ;
Aussitôt que vous avez le bien et le mal
La confusion s’ensuit, et l’esprit est perdu.

Les deux existent à cause de l’un,
Mais ne vous attachez même pas à cet un.
Lorsque l’esprit un n’est pas troublé,
Les dix mille choses ne peuvent l’offenser.

à suivre

 

Cité par Daisetz Teitaro Suzuki (1870-1966) en son Essais sur le Bouddhisme Zen, tome 1
traduit sous la direction de Jean Herbert (1897-1980).

Le Hsin-Hsin-Ming (1)

Sunrises_and_sunsets_Fields_Roads_Monk_Pilgrim_Sun_556881_3840x2400(1)

Le Xinxin Ming ou Hsin-Hsin-Ming (Inscrit sur l’esprit croyant) est le nom chinois d’un poème du bouddhisme zen attribué au patriarche chinois Sengcan au VIe siècle. Ce plus ancien texte sacré du zen est basé sur l’enseignement de la non-dualité.

La Parfaite Voie ne connaît nulle difficulté,
Sinon qu’elle se refuse à toute préférence.
Ce n’est qu’une fois libéré de la haine et de l’amour
Qu’elle se révèle pleinement et sans masque.
Une différence d’un dixième de pouce,
Et le ciel et la terre se trouvent séparés.
Si vous voulez voir la Parfaite Voie manifestée,
Ne concevez aucune pensée, ni pour elle, ni contre elle.

Opposer ce que vous aimez à ce que vous n’aimez pas,
Voilà la maladie de l’esprit.
Lorsque le sens profond de la Voie n’est pas compris,
La paix de l’esprit est troublé et rien n’est gagné.

La Voie est parfaite comme le vaste espace,
Rien n’y manque, rien n’y est superflu ;
C’est parce que l’on fait un choix
Que sa vérité absolue se trouve perdue de vue.

Ne poursuivez pas les complications extérieures,
Ne vous attardez pas dans le vide intérieur ;
Lorsque l’esprit reste serein dans l’unité des choses,
Le dualisme s’évanouit de lui-même.

Et quand l’unité des choses n’est pas comprise jusqu’au fond,
De deux façons la perte est supportée.
Le déni de réalité peut conduire à son absolue négation,
Alors que le fait de soutenir le vide peut résulter
en une contradiction avec soi-même.

à suivre

Cité par Daisetz Teitaro Suzuki (1870-1966) en son Essais sur le Bouddhisme Zen, tome 1
traduit sous la direction de Jean Herbert (1897-1980).

La Connaissance secrète (4)

Savitri_blogImage du blog Pragyata

 

Tout, ici, où chaque chose semble être son moi tout seul
Est une forme de l’Un et unique transcendant :
Par lui seulement, ils sont, et leur vie est son souffle ;
Une Présence inaperçue façonne l’argile oublieuse.
Compagnon de jeu de la formidable Mère,
L’Un est venu sur ce douteux globe tournoyant
À cache-cache, poursuivi par Elle dans les forces et dans les formes.
Esprit secret dans le sommeil de l’Inconscient,
Énergie sans forme, Verbe sans voix,
Il était là avant que les éléments puissent émerger,
Avant la lumière de la pensée, avant que la vie puisse respirer.
Complice d’Elle dans son énorme feinte cosmique,
Il change ses semblants en formes réelles
Et du symbole fait l’égal de la vérité :
À ses pensées intemporelles, il donne une forme dans le Temps.
Il est la substance, il est le moi des choses ;
De lui, Elle a forgé ses œuvres expertes et puissantes :
Elle l’enveloppe dans la magie de ses humeurs
Et de ses myriades de vérités, Elle fait ses rêves sans nombre.
Le Maître de l’existence, enfin, s’est approché d’Elle :
Un enfant immortel est né dans les années fugitives.
Dans les objets qu’Elle forge, dans les personnages qu’Elle conçoit,
Rêvant, Elle poursuit son idée de lui
Et attrape un regard ici, un geste là :
Sans cesse, en eux, il répète ses naissances inlassables.
Il est le Créateur et le monde qu’il a créé,
Il est la vision et le voyant ;
Il est lui-même l’acteur et l’acte,
Il est lui-même le connaissant et le connu,
Lui-même, le rêveur et le rêve.
Ils sont Deux qui sont Un et jouent en bien des mondes ;
Dans la Connaissance et dans l’Ignorance, ils se rencontrent et se parlent
Et la lumière et l’obscurité sont l’échange de leurs yeux.
Notre plaisir, nos peines sont leur lutte et leur étreinte,
Nos actes, nos espoirs sont inséparables de leur légende ;
Secrètement, ils sont mariés dans notre pensée et dans notre vie.
L’univers est une mascarade sans fin :
Car rien, ici, n’est tout à fait ce qu’il semble,
C’est un fait de rêve vu par une vérité
Qui, sans le rêve, ne serait pas totalement vraie ;
Un phénomène significatif se détache
Sur un vague arrière-fond d’éternité,
Nous acceptons son visage et laissons passer tout son sens,
Un bout est vu, nous le prenons pour le tout.
Ainsi ont-ils fait leur drame et nous jouons les rôles :
Auteur et acteur et lui-même pour scène,
Il se meut là comme Âme, Elle comme Nature.
Ici, sur cette terre où nous devons jouer notre part,
Nous ne savons pas comment se déroulera le drame ;
Les paroles que nous prononçons sont le masque de Leur pensée.
Son plan immense, Elle le dissimule à nos yeux :
Elle a voilé sa gloire et sa félicité
Et déguisé l’Amour et la Sagesse de son cœur.
De toute la merveille et la beauté qui sont siennes
Seul un reflet obscurci peut être senti par nous.
Lui aussi, ici-bas, a revêtu une Divinité amoindrie,
Il a abdiqué sa toute-puissance,
Son calme, il l’a quitté, et son infinitude.
Il ne connaît plus qu’Elle, il s’est oublié Lui-même ;
À Elle, il a tout abandonné pour la faire grande.
En Elle, il espère se trouver Lui-même à nouveau, en chair,
Mariant la paix de son infini
Au ravissement de sa passion créatrice.
Bien que possesseur de la terre et des cieux,
C’est à Elle qu’il laisse la direction cosmique
Et regarde tout, Témoin de sa scène.
Figurant sur son théâtre,
Il ne dit pas un mot, ou il se cache dans les coulisses.
Il prend naissance dans le monde qu’Elle organise, suit sa volonté,
Devine le sens de ses gestes énigmatiques
Les fluctuations, les tournants hasardeux de ses fantaisies,
Mène à bien ses intentions, qu’Elle ne semble pas connaître,
Et sert ses desseins secrets à travers le Temps long.
Il la vénère, comme l’Une qui est trop grande pour lui ;
Il l’adore, comme la régente de son propre désir,
Il se soumet à Elle, comme Celle qui meut sa volonté,
Il brûle pour Elle l’encens de ses nuits et de ses jours
Offrant sa vie dans une splendeur de sacrifice.
Amant captivé par son amour et par sa grâce,
La félicité qu’il trouve en Elle est tout son monde :
Par Elle, tous les pouvoirs de son être éclosent ;
En Elle, il lit le but caché de Dieu dans les choses.
Ou bien, courtisan parmi sa suite innombrable,
Il se contente d’être près d’Elle et de la sentir proche,
Il change en merveilleux le peu qu’Elle donne
Et drape de son propre délice tout ce qu’Elle fait.
Un seul coup d’œil peut enchanter toute sa journée,
Un mot de ses lèvres fait voler de joie les heures.
Sur Elle, il appuie tous ses actes et tout ce qu’il est :
Sur ses largesses, il bâtit la fierté et la fortune de ses jours
Et traîne la plume de paon de sa joie de vivre
Et baigne au soleil radieux d’un sourire d’Elle qui passe.
D’un millier de façons, il sert les besoins de sa souveraine ;
Ses heures pivotent autour de sa volonté,
Tout reflète ses caprices, tout est Leur jeu :
Tout ce vaste monde est seulement Lui et Elle.

 

066db-aurobindo-ghose-41

Shri Aurobindo, Savitri, Le livre des commencements, Chant Quatre
(Traduction de Bernard Enginger dit Satprem, 1923-2007)