Peinture de Christian Schloe
Héloïse continue les pérégrinations de L’Esprit. Elle les accueille comme l’on accueille un Ami cher, L’Ami de toujours, celui qui ne vous trompera jamais. Celui qui est lui-même sorti des sentiers battus. C’est en une marche lente, et longue, une marche qui se compénètre de tout, autant des senteurs de La Nature, du frémissement des arbres, des regards qui ne se cachent pas, que de l’abstraction la plus subtile. La Table a servi maintes fois d’Alcôve. Les Visions puisent dans le monde intelligible, celui que l’on perçoit depuis L’Attention. Peu importe si nous sommes un peu au bord du monde. Ne sommes-nous pas à Le Laisser revenir en nous, telle une virginale parure ? Jamais, nous ne sommes dans l’appropriation de Cela. Jamais !
– La plupart du temps, les gens se définissent depuis l’extérieur et se suffisent de la superficialité des choses sans les vivre en leur intériorité. Tourner en rond, signifie ne pas pouvoir percer le cercle, c’est aussi ne pas réaliser que la vie intérieure a autant de relief que celle qui est à l’extérieur. Peut-on réduire l’intelligence humaine à des prouesses techniques, à ce que l’homme d’aujourd’hui croit être une évolution extérieure ? Est-ce cela l’intelligence ?
– Je me doute bien où tu veux m’emmener. Tes questions sont souvent rhétoriques !
– C’est que finalement, nous pensons ensemble. Tu es témoin de mon dialogue intérieur, mais tu es aussi en ce dialogue. Pourtant, je ne limite pas celui-ci à ma réalité. Je sais que je suis l’humanité qui se balbutie. Je pressens les choses, je m’y arrête. Je ne crains pas non plus qu’elle bouleverse mon existence. Ce qui compte, c’est que j’avance en cette Vie qui n’est nullement statique. Imagines-tu combien est criminelle cette société nivelée par le bas, qui se prétend civilisée, hautement progressiste, alors qu’elle est en sa phase la plus décadente ? Sous couvert de démocratie, le niveau de la pensée s’est non seulement atrophié, mais la pensée elle-même est du même coup à se définir comme une pensée unique, une pensée absolue, une pensée ultime… La démocratie a peur de la diversité ! Elle est une dictature déguisée, une nervosité psychique des derniers ébats de l’humanité, et je pèse mes mots ! Souvent, je me dis que le libéralisme, ce monde de la spéculation, est un monde qui pulvérise des couleurs de manière artificielle. De la poudre aux yeux ! Des miettes pour maîtriser le peuple et l’endormir. De fait, le monde est réellement gris, à l’image même de ce qui est à se vivre à l’intérieur. Observe les gens : ils sont sans éclat, poudrés comme au dix-huitième siècle, et gardant pourtant un teint totalement blafard !
– Le crime c’est d’avoir cru que nous étions le modèle existentiel le plus évolué ! Nous allons jusqu’à renier des hauteurs civilisationnelles pour ne pas nous remettre en question. Nous ignorons délibérément notre affaissement, et portons les masques successifs de notre méprise inavouée ! Nous faisons du bricolage politique et démagogique. Tout est une sorte d’immense pièce de théâtre, une Commedia dell’arte dans toute sa splendeur !
– Dans toute sa laideur, veux-tu dire !
– Oui !
– Les gens ne veulent pas s’arrêter, parce qu’ils ne veulent pas changer ! Or, précisément, ils ne changeront pas! Ils vont se dévorer de ne pouvoir être dans le Réel ! Il ne s’agit pas tant d’être des révolutionnaires, ni de faire circuler des idées qui auraient l’apparence de l’originalité ! Non ! C’est La Nature de la Vie elle-même qui nous rappelle à L’Ordre. Plus, nous serons à nous figer et plus le monde sera à se crisper, puis il sera à voler en éclats ! Ce que peu comprennent, c’est que cette vague de l’humanité arrive à sa fin ! C’est que nous sommes tous responsables. C’est que La Vie qui a pour vocation La Vie, va se chercher rageusement et qu’elle sera bien plus intransigeante que ne l’ont jamais été les hommes. Elles sera implacable, et de Sa Lumière régénérante, elle viendra à bout de ce tout qui n’est pas Son semblable ! Depuis toujours, je pressentais cela ! J’ai posé les pieds, et la boue de ce système m’a engloutie plus d’une fois ! Je me sentais mal ! Je voyais bien qu’autour de moi, les gens suffoquaient de compulsions terrifiantes. Je voyais bien que mes souffrances provenaient elles-mêmes de ma propre incohérence. Plus je me laissais à vivre aveuglément, comme inerte, comme ne sachant pas dans quelle direction aller, plus j’étais en cette souffrance. Quand nous nous sommes rencontrés, j’ai su que je pouvais aussi me poser avec toi. J’ai su que je pouvais entrer enfin en ce Temps Réel en Sa Complétude absolue. Peut-être, me suis-je dit à part moi-même : c’est maintenant, où je fuis dans la montagne pour toujours !
– Héloïse ! s’exclama-t-il en riant.
– Je sais, cela te fait sourire, et même rire ! Te souviens-tu ? Je n’ose te le rappeler !
– Dis !
– Je t’ai lancé, ce soir-là : je t’ai pris en otage !
– Oui, je m’en souviens…
– C’est que du même coup, je devenais mon propre otage aussi ! Je ne me donnais plus le choix de reculer ! Je me disais : il faut que ce soit la juste fois ! Je ne me donnais plus le droit à l’erreur, car, je savais que j’allais tout perdre ! Absolument tout !
– Héloïse, tu n’as rien perdu !
– Oui, c’est vrai ! Mais dans le fond, aujourd’hui, cela m’est complètement égal. Je n’ai plus ce genre de peur qui étreint la plupart des gens. Non, je n’ai absolument plus peur ! Même si je découvre La Réalité des Convenances, même si je suis toujours en une Révérence perpétuelle, je suis d’abord à souhaiter honorer La Vie Sacrée. Je suis à l’intérieur comme à l’extérieur. C’est Cela La grande Victoire. Et j’irai jusqu’au bout de La Vie, tout comme je laisserai La Vie aller jusqu’au bout de mon être !
Peinture de Christian Schloe
© Océan sans rivage, Chemin de Convergence ou L’Arborescence Inouïe
(A suivre…)