Petite réflexion sur le conformisme

Peinture de Tomasz Alen Kopera

La question n’est pas de savoir quand les gens se réveilleront mais s’ils en ont encore les capacités. Sans même parler de cette sensibilité supérieure qu’est l’intuition, beaucoup semblent n’avoir même plus le simple instinct qui les avertirait du danger. C’est comme si quelque chose en eux était scellé. Comment expliquer, sinon, le degré de docilité auquel ils sont parvenus face à l’incohérence de ce que les pouvoirs publics, relayés par les médias subventionnés, leur infligent, parfois de manière brutale et assez grossière, il faut bien le dire. Soit nous sommes face à une naïveté qui, eu égard aux moyens d’information actuels, confine à l’ignorance coupable, soit au déni du réel et du bon sens, inspiré par la peur de « n’en être plus », soit à une adhésion clairement assumée au nouvel ordre qui cherche à se mettre en place et à s’imposer à tous.

Sans doute les plus gras prébendiers du système se retrouveront-ils surtout dans les deux dernières catégories, la masse appartenant à la première, dont nous savons qu’elle penche toujours du côté du plus fort car elle est conformiste par nature, abstraction faite de toute autre considération que celle de sa survie biologique et sociale. Pour cette sécurité, même précaire, elle est prête à toutes les renonciations, y compris à celle de ses libertés fondamentales. Et c’est là que le conformisme docile chute dans la servitude volontaire et donc dans la complicité tacite.

Recueil héraldique de Justine

Mise à jour du recueil de Justine, alias le Spectre à trois faces, dont les interventions à l’emporte-pièce et à rebrousse-poil, à contre-pied du politiquement correct, peuvent heurter le lecteur encore acquis à l’idée de vivre dans un système réformable servi par des gens bienveillants et donc toujours bien intentionnés. Mais nous savons, n’est-ce pas, qu’il n’en est rien et que ce monde se révèle de jour en jour plus brutal et de moins en moins humain. Quant à la bêtise, qui fait des progrès tous les jours, nous savons de même qu’elle n’est jamais trop éloignée de la méchanceté qui trouve à se manifester, en ces temps troubles et confus, sans n’avoir même plus à se dissimuler. A côté de cela, quelques mots cinglants font pâle figure et ne parleront guère qu’à ceux qui ne sont plus dupes de ce qu’il se trame, ayant renoncé à se réfugier dans le confort fallacieux et complice du déni. Où nous pouvons observer à loisir que ce monde prétendument rationnel est à sombrer dans l’irrationnel le plus absurde, sous l’effet d’une hypnose collective, et que ceux qui se prévalent volontiers de réalisme se laissent embarquer sur la nef des fous, un bateau ivre affrété par d’obscurs armateurs aux sombres desseins. Si le père Noël n’existe pas, le Père fouettard, par contre, a repris du service et sa main est lourde.

Toile d’Eve Ventrue

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Les mots ne sont fragiles que s’ils sont soufflés aux oreilles sourdes à la beauté de leur sonorité et fermées aux vertus de leurs vibrations. Mais ils se revêtent de force s’ils sont tissés en entrelacs d’entente profonde et scellée d’amitié fraternelle et de connivence verticale. Du filigrane des paroles données, nous forgerons une épée de vérité dont le fil tranchera la faconde de qui détrousse les mots justes et tue la pensée qui chemine. Nous l’aiguiserons sur la pierre angulaire de nos cœurs battant et fendrons l’étal des boutiquiers d’âmes, engeance vénale et félonne qui écume la terre des hommes et crucifie l’Âme du monde. Nous briserons la superbe du cupide se mirant et renverserons ses idoles de toc et d’argile qui se nourrissent de la désespérance des promesses vaines. Nous frapperons de l’intérieur, au milieu du jour, quand les ventres repus engoncent l’ardeur mercantile, et au fond de la nuit, quand les reflets flétris se drapent de néant. Nous scanderons des incantations guerrières jamais entendues et dirons les mots ultimes et définitifs. Nous surviendrons quand le temps atrophié se dévorera lui-même et que les visages seront grimaces à revers, blafards d’hébétude. Nos mots trempés de feu bâtiront des cathédrales d’Amour, tandis que s’écrouleront les bâtisses creuses des vies feintes et fardées d’aventures plates jouées dans des cages d’écrans de verre.

Justine

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Croyance 14 – Le Cheminant

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Lors que tu as fait le premier pas, il te faut
Avancer sans t’arrêter, malgré tes faiblesses,
Ni te laisser décourager par tes défauts
Car l’Empêcheur te veut toucher là où ça blesse,

Te soufflant à l’oreille, le perfide : « À quoi bon ?!
Qui es-tu pour ne pas vivre comme tout le monde ?
Il te suffit d’avoir en toutes chose du rebond
Et mener ta propre danse en sa jolie ronde ! »

Mais celui qui chemine sait à quoi il renonce :
Une vie de semblances dans l’illusoire confort
D’un décor où chaque vide est du suivant l’annonce.

Ses pieds nus sont souvent meurtris par les ronces
Et plus d’un passage lui coûte d’inhumains efforts.
Est-il une question dont Il ne soit la réponse ?

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Marc

Notes : reprise du 06 septembre 2016

Viatique 32 – Avance !

chapsal_le-poete-mourantPeinture d’Eloy Chapsal (1811-1882), Le poète mourant

 

Avance, car, en vérité, tu n’as pas le choix !
Est-il de ce monde quelque chose que tu ne perdes
Finalement ? Tout t’est prêté, rien ne t’échoit ;
Il n’est rien d’indument pris que tu ne reperdes.

Avance sans regarder en arrière, droit devant !
Sur ce que tu as manqué, point ne t’y attarde
Car cela t’empêcherait d’aller de l’avant.
C’est par la claire conscience que s’enlève toute écharde

Que ton aveuglement a planté dans tes pieds
Égarés dans les ornières et les fondrières
D’un monde perdu dont voici venir l’heure dernière.

Que t’importe, désormais, d’être un vanupied ?
Celui qui rit finira par six pieds sous terre
Et quiconque croit savoir ferait mieux de se taire !

 

Marc

Cogito ergo sum ?

Tout le monde connaît cette fameuse sentence de René Descartes qui pose l’évidence de la raison, si chère au philosophe, et qui marque, en quelque sorte, les débuts de l’intellectualisme, une doctrine qui affirme le primat de l’intelligence, de l’intellect, sur l’affectivité et sur la volonté, un courant de pensée qui s’oppose donc à l’émotivisme et au volontarisme. Bon, c’est intéressant, mais dans la proposition de Descartes, il s’agit bien plus d’exister que d’être. En effet, traduire « cogito » par « je pense » est une erreur fondamentale de traduction. Plus les hommes cogitent, plus ils s’égarent et s’éloignent de la vraie pensée. Plus ils ont de savoirs, plus ils s’éloignent de la connaissance. De plus, conditionner l’être au fait de penser est immensément réducteur et irréaliste car, dans cette logique, un caillou ne serait pas puisqu’il ne pense pas. Or, toute chose participe de l’être, au sens « d’êtreté ».


Interrogeons  l’étymologie : « Cogito » = co+agitare, ce qui signifie « remuer dans son esprit des choses ensemble (cum).

Le mot « penser » est issu du latin pensum, « poids » (pendere : pendre, suspendre, peser.)

Pensée = suspension dans le vide de ce qui pèse, de ce qui a du poids ou peut prendre de la consistance.

Poids : résultante de l’action de la pesanteur .

Pesanteur : propriété qu’ont les corps de tendre vers la Terre (Réa). Être appelé par la Terre.
La pensée est quelque chose qui est en suspens. Ce qui est suspendu se balance, il y a oscillation autour d’un centre. Serait-ce le centre de notre conscience ? tendant vers plus de réalisme tout en conservant sa nature subtile…

Penser est différent de cogiter, de s’agiter (être agi = passivité dans le chaos).

Penser, c’est relier le « haut » avec le « bas » mais sans toucher ce dernier.

Pendre c’est attacher un objet en haut, de manière qu’il ne touche point à la terre. Pendre c’est être suspendu.

La pensée ne doit pas toucher terre.

Autrement, cela devient une pensée matérialiste. La pensée chute et descend trop bas, elle tombe ; par exemple : la pensée pragmatique (pragma : faire), la théorie des faits. Dès qu’elle s’exerce dans le monde d’en bas (et y reste), la pensée est alors pieuvrée par le mental qui la phagocyte.
Dans ce qui pend, il y a une notion de verticalité, et en même temps de souplesse puisqu’il y a oscillation (visualisons le mouvement du pendule).

Lorsqu’elle a conscience d’être reliée avec le « haut », elle reste en contact avec la Lumière : elle est alors pensée claire, pensée lucide (ce qui n’empêche pas qu’elle soit réaliste).

En astrologie : la pensée est symbolisée par la planète Mercure, messager des dieux, avec Prométhée et Épiméthée. L’observation de Mercure dans un thème permet de comprendre comment le natif met en mouvement sa pensée.

Illustration : le penseur du Jardin du Luxembourg à Paris (montage d’après une photographie de l’auteur)

D’un vieil homme, d’un vieux poirier et du sabot

Vieux poirier en Alsace (photographie de l’auteur)

Je revois le vieil homme toujours revêtu d’un tablier bleu de jardinier et chaussé de sabots. Octobre venu, il emmenait son unique vache dans les prairies à fauche passées en vaines pâtures, selon un droit d’usage très ancien. Il choisissait généralement le même endroit, près d’un vieux poirier dont les petites poires sanguines faisaient le délice des enfants chapardeurs que nous étions. C’était le seul dans son genre et jamais plus, depuis ce temps, je n’eus l’occasion de goûter à ce fruit rare. L’arbre se trouvait au pied d’une colline plantée, à son pied, de vergers et de vignes sur sa hauteur. À la saison des cueillettes et des vendanges s’y égayait tout un joyeux monde réunissant toutes les générations. C’était avant qu’elle ne fût tranchée par l’autoroute et la ligne du T.G.V. Avant la grande ruée vers les supermarchés et la désertion générale de la vie rurale pour entrer, tête baissée, dans la modernité. Aujourd’hui, la colline n’existe plus que par son nom qui tombera lui-même dans l’oubli, à l’instar de toute la toponymie villageoise que les modes de vie modernes n’ont plus lieu d’évoquer.

J’ignorais alors que le vieil homme était déjà le survivant d’une espèce condamnée à disparaître rapidement, une sorte de dernier des Mohicans de la ruralité profonde que les années yéyé, la télévision, la voiture et les vacances pour tous allaient arriériser sans appel et sans retour, en l’espace d’à peine une décennie.

Au début des années 80 du siècle dernier, j’avais encore réussi à me procurer une paire de sabots en bois toute neuve, dans une grande enseigne de bricolage qui en proposait encore à cette époque. Peu à peu détrôné par la botte en caoutchouc puis en plastique, le sabot restait relativement en usage auprès de quelques vieux fermiers et jardiniers. Mais je sentis d’emblée que je mettais la main sur les fonds de stock d’une époque révolue. Aujourd’hui, le sabot en bois reste un objet purement décoratif, au même titre que des instruments agraires comme le fléau, le râteau à faner le foin ou les ustensiles sortis de la vie quotidienne. On imagine mal les objets actuels, produits en masse, remplir un jour la même fonction, le monde de l’« achète-jette » ayant davantage la poubelle ou la décharge comme lieux de destination que la brocante, les vide-greniers leur donnant parfois un petit répit.

Rendez-vous manqué

Marie Kleinclauss (1913-1990)Marie Kleinclauss (1913-1990) photographie de l’auteur

      C’était au cours de l’été 1980, vers la fin du mois d’août, aux prémices de l’arrière-saison. Les grandes vacances étiraient leurs derniers jours et la rentrée des classes pointait son nez. J’arpentais alors la campagne de mon village natal avec un appareil photo, à l’affût de vues, d’endroits, d’objets et de scènes en rapport avec l’univers rural : un coin de rivière sauvage bordé d’aulnes et depuis longtemps déserté par les pêcheurs ; un bout de verger à l’abandon où des pommes de variétés rustiques n’intéressaient plus que les guêpes ; une vieille charrette rongée par la rouille et la vermoulure qui finissait de se décomposer dans les orties ; un portail de grange aux planches disjointes et cendrées par les effets du temps qui passe et du temps qu’il fait ; une basse-cour où quelques poules, comme oubliées et un peu hagardes, sondaient d’un bec dubitatif une terre battue mille fois revisitée… Tout un monde qui s’effaçait devant mes yeux et dont je voulus sauver au moins l’image, faute de pouvoir le retenir. Les reliefs d’une époque qui s’estompait peu à peu, dans l’indifférence générale, et dont je recueillais les ultimes lueurs, à l’instant de leur vacillement.

      J’aperçus une vieille paysanne coiffée d’un foulard blanc carrelé de bleu qui sarclait un champ de betteraves fourragères envahi par les chardons, sous le soleil encore plombant de cet août finissant. De temps à autre, elle s’arrêtait et regardait à l’entour, appuyée sur sa houe, comme pour mesurer le travail accompli ou celui restant à faire. Peut-être aussi pour mesurer sa solitude car les champs étaient déserts, à perte de vue. Vingt ans auparavant, ils étaient encore pleins de monde. Du village agricole d’antan ne subsistaient que quelques fermes, condamnées déjà, faute de relève. Les filles étaient parties se marier ailleurs et les garçons avaient préféré endosser le col bleu ou le col blanc.

      Arrivé à sa hauteur, sur un sentier qui débouchait d’une petite chapelle pour ensuite longer le champ, je la saluai. Nous nous connaissions bien car c’est dans sa ferme que j’allais, chaque matin, chercher le lait, avec un pot en aluminium muni d’une poignée amovible.

Ah ! c’est toi. Qu’est-ce que tu fais ?

Je prends quelques photos.

Des photos ? Des photos de quoi ?

Oh ! d’un peu de tout. De vous, par exemple.

De moi ? Quelle drôle d’idée ! Suis-je donc à ce point un sujet intéressant pour que tu veuilles me prendre en photo ? Tu n’as donc rien d’autre à faire de ton temps ? (sous-entendu : rien de plus intelligent et donc de plus utile, comme, par exemple, de m’aider à sarcler ce champ de betteraves sur lequel je m’échine depuis ce matin.)

      J’étais confus et me sentis un peu coupable, mesurant du coup la futilité de mon activité à l’utilité de la sienne. Le plaisir face au labeur. L’accessoire devant la nécessité.

– Certains ont la belle vie, tout de même, tandis que d’autres…

      Ce jour-là, les autres c’étaient moi. L’autre, qui promenait sa mélancolie chronique à travers la campagne ; l’autre encore, qui traînait sa nostalgie quasi dépressive d’un univers moribond dont il eût voulu faire durer la réalité par l’artifice de la matérialité de l’image. J’étais du côté passif. Presque hors-sol. Elle, du côté actif, le plus laborieusement du monde. J’admets qu’elle était alors loin d’une vision bucolique du paysage, quand, sa main servant de visière, elle portait son regard jusqu’à l’horizon, là où le ciel touche la terre. Justement, la terre est basse. Son dos en témoignait car à force de s’y courber, il s’était comme raidi dans cette position, au point de pouvoir à peine le redresser quand elle marchait. J’en ai connu beaucoup, des gens de terre, qui se déplaçaient ainsi, courbés en équerre ou presque.

      Quand je repense à ce moment – et j’y repense souvent – je me dis que c’est exactement ce que j’aurais dû faire alors : laisser là mon appareil et me joindre à elle. C’était un rendez-vous manqué. Pour moi surtout. J’en manquerai beaucoup d’autres par la suite.

      La mer revient toujours au rivage. Elle y dépose ce que l’on croyait englouti à jamais. Telle est la mémoire, qui remonte à la surface les instants oubliés. Des instants enfouis, surtout, qui germent à l’autre bout de la vie et dont on recueille la substance alors insoupçonnée. De celui que j’ai évoqué, je voulus fixer la forme, à jamais. Mais ce n’était qu’un plat cliché. Destiné, pourtant, à devenir l’image emblématique d’une époque, du moins dans mon esprit. Mais si la photo montre une paysanne en plein labeur, elle témoigne aussi de mon regard.

     Être de son temps, me disais-je, ce n’est pas suivre son courant mais s’asseoir sur sa rive et regarder. Être de son temps, c’est en être le témoin. Sans doute ai-je traversé ce monde comme un visiteur car j’étais plus un observateur qu’un acteur. Un passif. Plus tard s’y est ajoutée l’idée que le regard était lui aussi une action. Et pas des moindres. Donner son regard à l’autre, c’est le voir, c’est-à-dire le recevoir. Être présent à lui. Sans attente. L’espace d’une rencontre se mesure à cette aune. L’instant, alors, libère son atemporalité. Sa vraie dimension et sa substance.

      Rendez-vous manqué ? Oui, du point de vue du temps linéaire. Mais pas sur l’autre échelle. Ainsi le souvenir est-il à survenir, au lieu de n’être que la simple mémoire d’un instant passé. Tout ce que nous vivons est enseignant. Rien n’est fortuit et rien n’est un détail. Ce serait dénier à l’instant sa charge plénière et donc sa réalité profonde et atemporelle. Vivre c’est apprendre et donc « prendre avec ». Accueillir en soi. Aimer.

      On est toujours trop pressé. Aucun enseignement substantiel ne peut sortir de la hâte. Suivre le courant y entraîne. Le monde moderne en est la révélation la plus débridée. Il est dans la hâte. Donc dans l’absence. Le monde moderne n’est pas vivant. Il n’est qu’une mécanique qui tourne à vide, de plus en plus vite. Il est sans égards. Parce que sans regard.

     Sans hâte, la vieille paysanne sarclait son champ de betteraves pour le débarrasser progressivement de ses chardons. Jour après jour, je sarcle mon jardin intérieur pour en arracher les miens.

L’autophagie du monde : le cycle antéchristique

 Robot SophiaSophia, robot saoudienne et citoyenne

     Est-ce de pointer les déviances et les subversions de ce monde et la folie des hommes qui nous fait nous sentir meilleur que les autres ? Non, d’aucune manière car nous avons assez à faire pour notre propre salut jusqu’à la fin de nos jours pour nous perdre en stériles et puériles comparaisons. Cependant, si les torts d’autrui ne justifient pas les nôtres, ces derniers n’en justifient pas davantage les siens. Il n’est donc pas question de se taire car il se passe aujourd’hui des choses si graves que tout silence devient tonitruant de complicité. Il ne s’agit pas simplement de poser son grain de sel mais d’apporter sa lumière, fût-elle de la taille d’une luciole. Une infime étincelle brise la nuit la plus obscure, même pour un instant. Mais quel instant alors ! Et c’est bien l’obscurité que nous voulons briser, celle qui s’est abattue sur ce monde désaxé qui frappe aux portes de l’enfer, sous prétexte de vouloir nous mener vers un paradis de pacotille pour cerveaux atrophiés et cœurs secs, où l’intelligence artificielle régirait la vie de l’individu interchangeable depuis sa conception eugénique jusqu’à son euthanasie. Car ne doutons plus que c’est le scénario qui se met peu à peu en place, benoîtement jusqu’ici, en marche forcée bientôt.

     La désacralisation de l’homme et du Vivant, rendu possible par la rupture avec la Tradition*, l’amoralité des pseudo-sciences et la séduction générale et massive qu’exerce la technique sur les esprits infantiles, toujours plus innovante et aux effets toujours plus pervers, sous couvert de modernité, un concept élevé au rang de valeur absolue et donc de dogme ne souffrant pas même la première réserve, sous peine de passer pour un arriéré et un ennemi du genre humain. Sauf que la liberté par la technique, outre d’être une tromperie définitive, c’est la soumission intégrale assurée et l’esclavage endogène car consenti.** C’est le scellement de toute vie intérieure (que nous ne confondons pas avec la vie psychique) et de toute transcendance, c’est-à-dire de toute possibilité d’évolution, avec le hasard comme origine, la mécanicité comme fonctionnement, sur un mode robotique qui se passera peu à peu de l’humain ou de ce qu’il en restera, et le néant comme finalité ontologique. C’est aussi le déchaînement des abominations en guise d’onde de choc de l’atomisation du monde et, à terme, l’achèvement du processus d’autophagie. Tel est, en ces temps eschatologiques, le cycle antéchristique que nous sommes à traverser et dont le point d’orgue est encore à venir.

* Lire de René Guénon, Déviation et subversion

** Lire de Bernanos, La liberté, pour quoi faire ?