René Guénon (suite)

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René Guénon

Il nous est apparu, et ce malgré notre attachement profond pour les écrits de Cheikh Abdel Wahid Yahia, celui que l’on nomme René Guénon, et ce malgré l’attribution de son nom musulman et arabe, qu’il existe encore de nos jours une réelle méconnaissance de son œuvre. Nous ne prétendons pas détenir les clés ouvrantes de sa mission, bien au contraire et il serait prétentieux d’en faire une étude approfondie. Elle est, et à plus d’un titre, une œuvre métaphysique et spirituelle majeure dans la manifestation de notre temps et notamment en Occident. Nous ne saurions le contester. Du reste, j’invite nos lecteurs à se référer directement ou indirectement à son immense et méticuleux travail.

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L’OPPOSITION DE L’ORIENT ET DE L’OCCIDENT

S’il est un livre à lire, sur lequel il semble nécessaire de méditer, de travailler en soi, d’accueillir afin d’accueillir, y compris sa propre défaite, je dirais, qu’avant de considérer que nous sommes à l’intérieur, nous devrions considérer ce qui n’est pas notre réalité, et il s’agit bien de cette œuvre synthétisante, éclairante, intègre, qui ne saurait nous tromper.

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Dante, Ibn Arabi et le voyage nocturne

« […] dans l’Islam, nous rencontrons l’épisode du « voyage nocturne » de Mohammed, comprenant pareillement la descente aux régions infernales (isrâ), puis l’ascension dans les divers paradis ou sphères célestes (mirâj) ; et certaines relations de ce « voyage nocturne » présentent avec le poème de Dante des similitudes particulièrement frappantes, à tel point que quelques-uns ont voulu y voir une des sources principales de son inspiration. Don Miguel Asîn Palacios a montré les multiples rapports qui existent, pour le fond et même pour la forme, entre la Divine Comédie (sans parler de certains passages de la Vita Nuova et du Convito), d’une part, et d’autre part, le Kitâb el-isrâ (Livre du Voyage nocturne) et les Futûhât el-Mekkiyah (Révélations de la Mecque) de Mohyiddin ibn Arabi, ouvrages antérieurs de quatre-vingts ans environ, et il conclut que ces analogies sont plus nombreuses à elles seules que toutes celles que les commentateurs sont parvenus à établir entre l’œuvre de Dante et toutes les autres littératures de tout pays. En voici quelques exemples : « Dans une adaptation de la légende musulmane, un loup et un lion barrent la route au pèlerin, comme la panthère, le lion et la louve font reculer Dante… Virgile est envoyé à Dante et Gabriel à Mohammed par le Ciel ; tous deux, durant le voyage, satisfont à la curiosité du pèlerin. L’Enfer est annoncé dans les deux légendes par des signes identiques : tumulte violent et confus, rafale de feu… L’architecture de l’Enfer dantesque est calquée sur celle de l’Enfer musulman : tous deux sont un gigantesque entonnoir formé par une série d’étages, de degrés ou de marches circulaires qui descendent graduellement jusqu’au fond de la terre ; chacun d’eux recèle une catégorie de pécheurs, dont la culpabilité et la peine s’aggravent à mesure qu’ils habitent un cercle plus enfoncé. Chaque étage se subdivise en différents autres, affectés à des catégories variées de pécheurs ; enfin, ces deux Enfers sont situés tous les deux sous la ville de Jérusalem…

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Origine de la peur

« Il faut encore expliquer plus complètement comment la peur résulte de l’ignorance, d’autant plus que nous avons eu récemment l’occasion de constater à ce sujet une erreur assez étonnante : nous avons vu l’origine de la peur attribuée à un sentiment d’isolement, et cela dans un exposé se basant sur une doctrine vêdântique, alors que celle-ci enseigne expressément que la peur est due au sentiment d’une dualité ; et, en effet, si un être était vraiment seul, de quoi pourrait-il avoir vraiment peur ? On dira peut-être qu’il peut avoir peur de quelque chose qui se trouve en lui-même ; mais cela même implique qu’il y a en lui, dans sa condition actuelle, des éléments qui échappent à sa propre compréhension, et par conséquent une multiplicité non unifiée ; le fait qu’il soit isolé ou non n’y change d’ailleurs rien et n’intervient aucunement en pareil cas. D’autre part, on ne peut pas invoquer valablement, en faveur de cette explication par l’isolement, la peur instinctive éprouvée dans l’obscurité par beaucoup de personnes, et notamment par les enfants ; cette peur est due en réalité à l’idée qu’il peut y avoir dans l’obscurité des choses qu’on ne voit pas, donc qu’on ne connaît pas, et qui sont redoutables pour cette raison même ; si au contraire l’obscurité était considérée comme vide de toute présence inconnue, la peur serait sans objet et ne se produirait pas. Ce qui est vrai, c’est que l’être qui éprouve la peur cherche à s’isoler, mais précisément pour s’y soustraire ; il prend une attitude négative et se « rétracte « comme pour éviter tout contact possible avec ce qu’il redoute, et de là proviennent sans doute la sensation de froid et les autres symptômes physiologiques qui accompagnent habituellement la peur ; mais cette sorte de défense irréfléchie est d’ailleurs inefficace car il est bien évident que, quoi qu’un être fasse, il ne peut s’isoler réellement du milieu dans lequel il est placé par ses conditions contingentes mêmes d’existence contingente, et que, tant qu’il se considère comme entouré par un « monde extérieur », il lui est impossible de se mettre entièrement à l’abri des atteintes de celui-ci. La peur ne peut être causée que par l’existence d’autres êtres, qui, en tant qu’ils sont autres, constituent ce « monde extérieur », ou d’éléments qui, bien qu’incorporés à l’être lui-même, n’en sont pas moins étrangers et « extérieurs « à sa conscience actuelle ; mais « l’autre » comme tel n’existe que par un effet de l’ignorance, puisque toute connaissance implique essentiellement une identification ; on peut donc dire que plus un être connaît, moins il y a pour lui « d’autre » et « d’extérieur », et que, dans la même mesure, la possibilité de la peur, possibilité d’ailleurs toute négative est abolie par lui. »

[…]

« D’autre part, la connaissance est le seul remède définitif contre l’angoisse, aussi bien que contre la peur sous toutes ses formes et contre la simple inquiétude, puisque ces sentiments ne sont que des conséquences et des produits de l’ignorance, et que par suite la connaissance dès qu’elle est atteinte, les détruit entièrement dans leur racine même et les rend désormais impossibles, tandis que, sans elle, même s’ils sont écartés momentanément, ils peuvent toujours reparaître au gré des circonstances. S’il s’agit de la connaissance par excellence, cet effet se répercutera nécessairement dans tous les domaines inférieurs, et ainsi ces mêmes sentiments disparaîtront aussi à l’égard des choses les plus contingentes ; comment en effet, pourraient-ils affecter celui qui voyant toutes choses dans le principe, sait que, quelles que soient les apparences, elles ne sont en définitive que des éléments de l’ordre total. »

[…]

René Guénon, Initiation et réalisation spirituelle

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La Métaphysique Orientale

J’ai pris comme sujet de cet exposé la métaphysique orientale; peut-être aurait-il mieux valu dire simplement la métaphysique sans épithète, car, en vérité, la métaphysique pure étant par essence en dehors et au delà de toutes les formes et de toutes les contingences, n’est ni orientale ni occidentale, elle est universelle. Ce sont seulement les formes extérieures dont elle est revêtue pour les nécessités d’une exposition, pour en exprimer ce qui est exprimable, ce sont ces formes qui peuvent être soit orientales, soit occidentales; mais, sous leur diversité, c’est un fond identique qui se retrouve partout et toujours, partout du moins où il y a de la métaphysique vraie, et cela pour la simple raison que la vérité est une.

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Ce que nous ne sommes pas

Comme une nécessité renouvelée, comme une remémoration incontournable, comme la confirmation d’une démarche personnelle, voici une lettre, à plus d’un titre, parlante et qui ne demande rien autre qu’à être lue et comprise.

Signé : Océan sans rivage

Au début de notre seconde année, il nous paraît nécessaire, pour écarter toute équivoque de l’esprit de nos lecteurs, et pour couper court à l’avance à des insinuations possible, de dire très nettement, en quelques mots, ce que nous ne sommes pas, ce que nous ne voulons et ne pouvons être.

Tout d’abord, comme nous l’avons déjà déclaré (voir À nos Lecteurs), nous ne nous plaçons jamais sur le terrain de la science analytique et expérimentale, qui ne se propose pour but que l’étude des phénomènes du monde matériel. Nous ne nous plaçons pas avantage sur le terrain de la philosophie occidentale moderne, dont nous nous réservons d’ailleurs de démontrer quelque jour toute l’inanité.

Ne nous occupant nullement des questions d’ordre moral et social, notre domaine n’a aucun point de contact non plus avec celui des religions exotériques, avec lesquelles, par conséquent, nous ne pouvons nous trouver ni en concurrence ni en opposition.

D’autre part, nous ne sommes ni occultistes ni des mystiques, et nous ne voulons avoir de près ni de loin aucun rapport, de quelque nature que ce soit, avec les multiples groupements qui procèdent de la mentalité spéciale désignée par l’une ou l’autre de ces deux dénominations. Nous entendons donc rester absolument étrangers au mouvement dit spiritualiste, qui ne peut d’ailleurs actuellement être pris au sérieux par aucun homme raisonnable ; parmi les gens qui suivent ce mouvement ou qui le dirigent, nous ne pouvons que plaindre ceux qui sont de bonne foi, et mépriser les autres.

Ensuite, un autre point qu’il nous importe tout autant que le précédent de bien établir, c’est que nous ne sommes et ne voulons être des novateurs à aucun titre ni à aucun degré. Nous n’avons rien du caractère des fondateurs de nouvelles religions, car nous pensons qu’il en existe déjà beaucoup trop dans le monde ; fermement et fidèlement attachés à la Tradition orthodoxe, une et immutable comme la Vérité même dont elle est la plus haute expression, nous sommes les adversaires irréductibles de toute hérésie et de tout modernisme, et nous réprouvons hautement les tentatives, quels qu’en soient les auteurs, qui ont pour but de substituer à la pure Doctrine des systèmes quelconques ou des conceptions personnelles. Nous nous réservons le droit de dénoncer au grand jour de tels méfaits intellectuels et spirituels, chaque fois que nous le jugerons utile pour une raison quelconque ; mais nous rappelons de nouveau que nous n’entreprendrons jamais aucune espèce de polémique, car nous détestons profondément la discussion, d’autant plus que nous sommes convaincus de sa parfaite inutilité.

De ce que nous venons de dire, il résulte que nous ne pouvons pas être des éclectiques ; nous n’admettons que les formes traditionnelles régulières, et, si nous les admettons toutes au même titre, c’est parce qu’elles ne sont en réalité que des vêtements divers d’une seule et même Doctrine.

Enfin, entièrement désintéressés de toute action extérieure, nous ne songeons point à nous adresser à la masse, ni à nous faire comprendre d’elle. Nous ne nous soucions nullement de l’opinion du vulgaire, nous méprisons toutes les attaques, de quelque côté qu’elles puissent venir, et nous ne reconnaissons à personne le droit de nous juger. Ceci étant déclaré une fois pour toutes, nous poursuivons notre œuvre sans nous préoccuper des bruits du dehors ; comme le dit un proverbe arabe : « Les chiens aboient, la caravane passe. »

La France Antimaçonnique, René Guénon, non publié, 1910-1914 p. 2

Déclaration de Palingénius à la Direction.*

[*] [Note de l’Éditeur : lettre signée Palingenius qui parut dans la France Antimaçonnique, le 4 mai 1911.]

L’HOMME ET SON DEVENIR SELON LE VÊDÂNTA, René Guénon

Avant-propos

À plusieurs reprises, dans nos précédents ouvrages, nous avons annoncé notre intention de donner une série d’études dans lesquelles nous pourrions, suivant les cas, soit exposer directement certains aspects des doctrines métaphysiques de l’Orient, soit adapter ces mêmes doctrines de la façon qui nous paraîtrait la plus intelligible et la plus profitable, mais en restant toujours strictement fidèle à leur esprit. Le présent travail constitue la première de ces études: nous y prenons comme point de vue central celui des doctrines hindoues, pour des raisons que nous avons eu déjà l’occasion d’indiquer, et plus particulièrement celui du Vêdânta, qui est la branche la plus purement métaphysique de ces doctrines ; mais il doit être bien entendu que cela ne nous empêchera point de faire, toutes les fois qu’il y aura lieu, des rapprochements et des comparaisons avec d’autres théories, quelle qu’en soit la provenance, et que, notamment, nous ferons aussi appel aux enseignements des autres branches orthodoxes de la doctrine hindoue dans la mesure où ils viennent, sur certains points, préciser où compléter ceux du Vêdânta. On serait d’autant moins fondé à nous reprocher cette manière de procéder que nos intentions ne sont nullement celles d’un historien : nous tenons à redire encore expressément, à ce propos, que nous voulons faire œuvre de compréhension, et non d’érudition, et que c’est la vérité des idées qui nous intéresse exclusivement. Si donc nous avons jugé bon de donner ici des références précises, c’est pour des motifs qui n’ont rien de commun avec les préoccupations spéciales des orientalistes; nous avons seulement voulu montrer par là que nous n’inventons rien, que les idées que nous exposons ont bien une source traditionnelle, et fournir en même temps le moyen, à ceux qui en seraient capables, de se reporter aux textes dans lesquels ils pourraient trouver des indications complémentaires, car il va sans dire que nous n’avons pas la prétention de faire un exposé absolument complet, même sur un point déterminé de la doctrine.
Quant à présenter un exposé d’ensemble, c’est ici une chose tout à fait impossible : ou ce serait un travail interminable, ou il devrait être mis sous une forme tellement synthétique qu’il serait parfaitement incompréhensible pour des esprits occidentaux. De plus, il serait bien difficile d’éviter, dans un ouvrage de ce genre, l’apparence d’une systématisation qui est incompatible avec les caractères les plus essentiels des doctrines métaphysiques; ce ne serait sans doute qu’une apparence, mais ce n’en serait pas moins inévitablement une cause d’erreurs extrêmement graves, d’autant plus que les Occidentaux, en raison de leurs habitudes mentales, ne sont que trop portés à voir des « systèmes » là même où il ne saurait y en avoir. Il importe de ne pas donner le moindre prétexte à ces assimilations injustifiées dont les orientalistes sont coutumiers; et mieux vaudrait s’abstenir d’exposer une doctrine que de contribuer à la dénaturer, ne fût-ce que par simple maladresse. Mais il y a heureusement un moyen d’échapper à l’inconvénient que nous venons de signaler: c’est de ne traiter, dans un même exposé, qu’un point ou un aspect plus ou moins défini de la doctrine, sauf à prendre ensuite d’autres points pour en faire l’objet d’autant d’études distinctes. D’ailleurs, ces études ne risqueront jamais de devenir ce que les érudits et les « spécialistes » appellent des «monographies », car les principes fondamentaux n’y seront jamais perdus de vue, et les points secondaires eux-mêmes n’y devront apparaître que comme des applications directes ou indirectes de ces principes dont tout dérive : dans l’ordre métaphysique, qui se réfère au domaine de l’Universel, il ne saurait y avoir la moindre place pour la « spécialisation ».
On doit comprendre maintenant pourquoi nous ne prenons comme objet propre de la présente étude que ce qui concerne la nature et la constitution de l’être humain : pour rendre intelligible ce que nous avons à en dire, nous devrons forcément aborder d’autres points, qui, à première vue, peuvent sembler étrangers à cette question, mais c’est toujours par rapport à celle-ci que nous les envisagerons. Les principes ont, en soi, une portée qui dépasse immensément toute application qu’on en peut faire ; mais il n’en est pas moins légitime de les exposer, dans la mesure où on le peut, à propos de telle ou telle application, et c’est même là un procédé qui a bien des avantages à divers égards. D’autre part, ce n’est qu’en tant qu’on la rattache aux principes qu’une question, quelle qu’elle soit, est traitée métaphysiquement; c’est ce qu’il ne faut jamais oublier si l’on veut faire de la métaphysique véritable, et non de la « pseudométaphysique » à la manière des philosophes modernes.

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René Guénon : La Gnose et les écoles spiritualistes (*)

(* ⎯ La Gnose, décembre 1909 et août à novembre 1911, « Les Néo-spiritualistes ».
107)

Même si ce billet est long, je le reconnais, je vous invite à le lire minutieusement. Vous trouverez en version PDF l’ouvrage en entier. Je ne saurais trop vous le recommander.

La Gnose, dans son sens le plus large et le plus élevé, c’est la connaissance ; le véritable gnosticisme ne peut donc pas être une école ou un système particulier, mais il doit être avant tout la recherche de la Vérité intégrale. Cependant, il ne faudrait pas croire pour cela qu’il doive accepter toutes les doctrines quelles qu’elles soient, sous le prétexte que toutes contiennent une parcelle de vérité, car la synthèse ne s’obtient point par un amalgame d’éléments disparates, comme le croient trop facilement les esprits habitués aux méthodes analytiques de la science occidentale moderne.

On parle beaucoup actuellement d’union entre les diverses écoles dites spiritualistes; mais tous les efforts tentés jusqu’ici pour réaliser cette union sont restés vains. Nous pensons qu’il en sera toujours de même, car il est impossible d’associer des doctrines aussi dissemblables que le sont toutes celles que l’on range sous le nom de spiritualisme ; de tels éléments ne pourront jamais constituer un édifice stable. Le tort de la plupart de ces doctrines soi-disant spiritualistes, c’est de n’être en réalité que du matérialisme transposé sur un autre plan, et de vouloir appliquer au domaine de l’Esprit les méthodes que la science ordinaire emploie pour étudier le Monde hylique. Ces méthodes expérimentales ne feront jamais connaître autre chose que de simples phénomènes, sur lesquels il est impossible d’édifier une théorie métaphysique quelconque, car un principe universel ne peut pas s’inférer de faits particuliers. D’ailleurs, la prétention d’acquérir la connaissance du Monde spirituel par des moyens matériels est évidemment absurde ; cette connaissance, c’est en nous-même seulement que nous pourrons en trouver les principes, et non point dans les objets extérieurs. Certaines études expérimentales ont assurément leur valeur relative, dans le domaine qui leur est propre ; mais, en dehors de ce même domaine, elles ne peuvent plus avoir aucune valeur. C’est pourquoi l’étude des forces dites psychiques, par exemple, ne peut présenter pour nous ni plus ni moins d’intérêt que l’étude de n’importe quelles autres forces naturelles, et nous n’avons aucune raison de nous solidariser avec le savant qui poursuit cette étude pas plus qu’avec le physicien ou le chimiste qui étudient d’autres forces. Il est bien entendu que nous parlons seulement de l’étude scientifique de ces forces dites psychiques, et non des pratiques de ceux qui, partant d’une idée préconçue, veulent y voir la manifestation des morts; ces pratiques n’ont même plus l’intérêt relatif d’une science expérimentale, et elles ont le danger que présente toujours le maniement d’une force quelconque par des ignorants.
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La guerre et la paix

Ce qui vient d’être dit sur la « paix » résidant au point central nous amène, quoique ceci puisse paraître une digression, à parler quelque peu d’un autre symbolisme, celui de la guerre, auquel nous avons déjà fait ailleurs quelques allusions (1). Ce symbolisme se rencontre notamment dans la Bhagavad-Gîtâ : la bataille dont il est question dans ce livre représente l’action, d’une façon tout à fait générale, sous une forme d’ailleurs appropriée à la nature et à la fonction des Kshatriyas à qui il est plus spécialement destiné (2). Le champ de bataille (kshêtra) est le domaine de l’action, dans lequel l’individu développe ses possibilités, et qui est figuré par le plan horizontal dans le symbolisme géométrique ; il s’agit ici de l’état humain, mais la même représentation pourrait s’appliquer à tout autre état de manifestation, pareillement soumis, sinon à l’action proprement dite, du moins au changement et à la multiplicité. Cette conception ne se trouve pas seulement dans la doctrine hindoue, mais aussi dans la doctrine islamique, car tel est exactement le sens réel de la « guerre sainte » (jihâd) ; l’application sociale et extérieure n’est que secondaire, et ce qui le montre bien, c’est qu’elle constitue seulement la « petite guerre sainte » (El-jihâdul-açghar), tandis que la « grande guerre sainte » (El-jihâdulakbar) est d’ordre purement intérieur et spirituel (3).


(1) Le Roi du Monde, ch. X ; Autorité spirituelle et pouvoir temporel, ch. III et VIII.
(2) Krishna et Arjuna, qui représentent le « Soi » et le « moi », ou la « personnalité » et l’« individualité », Âtmâ inconditionné et jîvâtmâ, sont montés sur un même char, qui est le « véhicule » de l’être envisagé dans son état de manifestation ; et, tandis qu’Arjuna combat, Krishna conduit le char sans combattre, c’est-à-dire sans être lui-même engagé dans l’action. D’autres, symboles ayant la même signification se trouvent dans plusieurs textes des Upanishad : les « deux oiseaux qui résident sur le même arbre » (Mundaka Upanishad, 3ème Mundaka, 1er Khandashruti 1 ; Shwêtâshwatara Upanishad, 4ème Adhyâyashruti 6), et aussi les « deux qui sont entrés dans la caverne » (Katha Upanishad, 1er Adhyâya, 3ème Vallîshruti 1) ; la « caverne » n’est autre que la cavité du cœur, qui représente précisément le lieu de l’union de l’individuel avec l’Universel, ou du « moi » avec le « Soi » (voir L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. III). – El-Hallâj dit dans le même sens : « Nous sommes deux esprits conjoints dans un même corps » (nahnu ruhâni halalnâ badana).
(3) Ceci repose sur un hadîth du Prophète qui, au retour d’une expédition, prononça cette parole : « Nous sommes revenus de la petite guerre sainte à la grande guerre sainte » (rajanâ min el-jihâdil-açghar ilâ el-jihâdil-akbar).

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