Libre-arbitre ou Conscience de L’Être ?

La géographie spatiale de l’Être-au-monde, sa naissance, les contingences, les paroles, les ouvertures, la Conscience, la Réceptivité, la Révérence, tout cela est un Ordre purement agencé. N’ôtez rien, fût-ce le poids d’un grain de moutarde. D’ailleurs, vous ne le pouvez pas. Tout ce qui arrive a lieu d’être. Vous n’avez aucun pouvoir là-dessus. Essayez donc de dissoudre dans le néant un seul atome de ce monde ! Or, jamais personne ne connait le néant. Jamais personne n’a été extrait du néant. Rien de ce qui apparaît en ce monde ne provient du néant et si une seule goutte du néant, que l’on ne peut définir, venait en ce monde, pèserait-il de sa réalité ? De quel poids et mesure parle-t-on ? Croyez-vous que le néant soit une réalité ? Vous le croyez peut-être, mais il n’en est rien. Croyez-vous que vous possédez un quelconque pouvoir sur ce monde ? Le néant est la représentation de la limitation. Rien de plus que la mise en réalité d’une pure limitation. Le néant est l’aveu d’un échec. Quand les yeux de l’homme ne voient pas, ce dernier déclare qu’il ne voit rien. Il en conclut qu’il n’y a rien. Dire qu’il n’y a rien ne veut pas dire qu’il n’y a rien. Dire qu’il n’y a rien veut dire : je n’ai pas les moyens de voir autre chose. Pourtant, l’homme s’enorgueillie de sa cécité. Celle-ci devient, Ô étrangeté, valeur suprême. L’ignorance ainsi clame sa suprématie sur la Connaissance. L’homme, plus que le néant auquel il se veut s’identifier, ne veut surtout pas reconnaître son ignorance. Or, la reconnaître n’est-ce pas là la véritable humilité ? Dire, même de façon spéculative : je ne sais pas, n’est-ce pas enfin entrer dans l’apprentissage et l’Accueil ?

A plus d’un titre, il est intéressant de s’interroger sur le libre-arbitre. L’homme croit choisir. Il nous est toujours apparu comme incomplète et même réduite cette facilité que l’homme a de se précipiter dans les multiples considérations qu’il croît être sienne. Il s’entortille et s’entortille mille fois plutôt que de baisser enfin les armes, qui ne sont rien autre que celles du psychisme, et de s’arrêter une fois pour toute, d’oser l’arrêt. S’il trouve un obstacle sur sa route, l’homme créera mille fois d’autres subterfuges pour ne pas voir l’obstacle. Les contorsions humaines sont inouïes. Je m’étonne de l’ardeur avec laquelle l’homme tire sur lui des pans du Ciel, tel un enfant immensément gâté, et je m’étonne des moyens qu’il met en œuvre pour faire usage d’une infinité de stratagèmes afin de s’enfuir. Mais à quoi désire-t-il tant échapper ? Est-il en mesure d’échapper ? Or, l’homme n’échappera pas à son propre joug puisqu’il le crée de lui-même, sans s’en rendre compte. Finalement, l’homme choisit de ne pas se centrer pour aller en lui-même. Est-il sûr que les effets de ses choix sont le reflet de son libre-arbitre ? Je ne sais pas d’où vient cette idée du libre-arbitre, mais elle en a leurré plus d’un. Elle entraîne l’homme dans une illusion incommensurable et le contraint à errer en ce labyrinthe gigantesque.

Maintenant, me demandera-t-on, qu’est supposé vivre l’homme ? Qui est l’homme ? Qui est-il fondamentalement ? Est-il ce qu’il croit être ? En quoi croit-il ? Quelle est donc cette prétention qu’il a de se défaire de son Origine ? En quoi consiste cet état de rupture ? L’homme, en se prenant pour mesure exclusive, se retrouve bien vite acculé à un sort immensément démentiel. Pourtant, ne cherche-t-il pas désespérément, à défaut de se soumettre à Dieu, à devenir dieu lui-même ?

A suivre…

5 commentaires sur “Libre-arbitre ou Conscience de L’Être ?

  1. Chère Naïla,
    Votre propos doit être mis en rapport avec la philosophie de Descartes dont on sait l’influence dans les sociétés contemporaines.
    Son axe principal « cogito ergo sum » est un marqueur signifiant de la dérive subie par les occidentaux depuis le 16ème siècle.
    Descartes, dans sa cécité intellectuelle, assujettit l’être à la pensée, autrement dit à la raison. Or, la raison est d’ordre individuel ce qui infirme totalement la prétention d’une pensée universelle limitée à ce domaine.
    Le libre-arbitre conçu comme la possibilité de choisir en connaissance de cause entre le bien (au sens platonicien du terme) et le mal, pose d’emblée le problème de la conscience.
    On voit de suite qu’une conscience qui, dans le cadre cartésien, ne dépasse pas le domaine individuel, va se heurter nécessairement à des limites et à des contradictions insolubles. En effet, l’homme, si on le réduit à l’individualité, n’est plus en mesure d’échapper à sa subjectivité et à sa relativité de créature.
    Ce véritable enfermement entraîne irrémédiablement une rupture avec le non manifesté qui se traduit par l’abandon des rites traditionnels et donc du lien avec le Principe.
    L’humanité actuelle est en rupture et a totalement oublié que la conscience n’est rien si elle n’est pas vivifiée par la sur-conscience de l’esprit.
    L’individu circonscrit à lui-même est livré à toutes les influences du milieu d’autant plus facilement qu’il est devenu le jouet de sa propre sensibilité. Sa conscience ne dépassant pas ce que les 5 sens corporels et le mental lui permettent d’atteindre, on peut le manipuler à loisir tout en lui faisant croire qu’il fait des choix en toute autonomie.
    Le libre-arbitre de l’homme moderne est tout entier dans ce postulat : l’illusion de la liberté.
    Cependant, on peut tenter de comprendre cette notion du libre-arbitre tout autrement. L’homme traditionnel part de sa conscience limitée mais néanmoins reliée et utilise les moyens traditionnels, prière, rites, méditation, invocation, pour s’ouvrir à une réalité qui dépasse et même transcende la réalité immédiate.
    Plus cette conscience s’amplifie, plus sa liberté s’accroît. Mais nous ne parlons plus alors de cette fausse liberté individuelle mais d’une liberté qui consiste à s’affranchir peu à peu des limites de l’individualité en se dépouillant des attributs de la puissance pour revêtir ceux de la pauvreté spirituelle ou de la servitude.
    Le libre-arbitre n’est alors plus lié à l’action ou à la volonté individuelle mais à la capacité de voir la réalité purifiée de l’illusion de ce monde (addunya en arabe).
    Finalement l’homme libre est celui qui s’est défait de toutes ses attaches terrestres. Comme le dit Jésus à ses disciples : « vous êtes dans le monde mais vous n’êtes pas de ce monde ».

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    • Cher Jean d’Armelin,

      je vous remercie pour cette remarque qui me semble effectivement importante. Outre que la réalité d’une liberté soit perçue en Occident comme la priorité majeure, flambeau d’un combat acharné, d’une lutte discriminante et exclusive, d’une finalité déterminante, ce même combat oublie derechef une Réalité non moins importante qui est celle de L’Être. C’est à cela que je fais allusion dans cet article. Si je prends un sujet que je nommerai Zaïd, au même titre que le fait notre très vénéré Ibn Arabi (RS), et que ce Zaïd n’éprouve d’aucune façon le ressenti commun et unanime de l’enfermement, ce même Zaïd n’éprouvera pas non plus le désir de liberté. Telle n’est pas en effet sa priorité. Pourquoi Zaïd ne ressent-il pas la nécessité de combattre pour la liberté ? Pourquoi Zaïd ne s’arrête pas à ce qui semble être une priorité pour tous ? Le concept de Liberté est-il la manifestation douteuse d’une déviance ?
      Je dirais que plus la Conscience se déploie, plus La Conscience de L’Être augmente, plus la plénitude est pleine, si je puis dire, et de fait, plus l’appréciation de La Réalité est différente de celle du commun. Plus La Conscience est, plus l’être s’extraie de la relativité et des aléas psychiques. Il est dans le perpétuel renouvellement, dans la transformation alchimique. Être libéré, c’est être libéré de ce que le « moi » considère légitimement comme étant sa prison, c’est-à-dire sa limitation. Ceux qui recherchent la liberté font l’aveu de leur emprisonnement mental.

      Alors, me direz-vous, il faut bien qu’il règne une équité.
      Oui, vous répondrai-je.
      Lors, nous ne sommes plus dans le parcours initiatique. Nous sommes au balbutiement de la vie ordinaire, de la vie dont la forme est la nébuleuse de l’individualité même.
      L’homme prisonnier devrait tout au contraire chercher à se libérer de son propre joug de sorte qu’il serait à se libérer du joug extérieur.

      Zaïd est pensif. Il observe le monde et s’aperçoit qu’il ne comprend pas l’acharnement quasi démentiel de l’homme contemporain. Il se libère du poids de la masse.
      Zaïd s’assoit. Il ne s’est pas libéré, il a toujours été libre, mais il a dû se défaire de l’illusion de son emprisonnement. Chaque fois qu’une illusion se révélait, il voyait la connaissance la remplacer.

      Quant au libre-arbitre, Zaïd est parvenu à « com-prendre » la Réalité de L’Être. Le Choix n’a, certes, aucune prise, ni aucun sens pour lui. Il est dans La Relation. Il est donc dans L’Accueil et L’Echo. Cet Echo est Le Réel. Zaïd accueille « une autre Vie ». Là où se trouve Zaïd, ce concept n’existe plus. Choisir ou ne pas choisir n’a aucun sens. Il se trouve dans un autre paradigme. Il est en L’Être.

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  2. Merci Naïla pour cette intéressante réponse.
    La perversité de l’idéologie moderne est d’avoir réussi à maquiller l’enfermement mental de nos contemporains en liberté. On illusionne les gens avec toutes sortes de breloques, droit de vote, liberté d’expression, liberté de croire, de penser… qui cachent en réalité une manipulation qui consiste à les éloigner toujours plus de la conscience traditionnelle pour les enfermer dans une agitation et une distraction permanente.
    Tout est fait pour occulter la réalité de l’être et pour fermer les accès aux voies spirituelles authentiques.
    Je suis entièrement d’accord avec vous sur le fait que cette conception de la liberté est le signe d’une déviance. La liberté est entendue au sens de liberté d’action ainsi que le stipule l’article 4 de la déclaration des droits de l’homme de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. » On en voit d’emblée les limites puisqu’il s’agit uniquement d’une liberté sociale qui peut aisément être réduite par la loi autrement dit par le pouvoir en place. L’idée sous-jascente est ce que les anglo-saxons appelle la libre entreprise qui est principalement un concept économique. Comme beaucoup de pseudos idées modernes, la notion de liberté s’est construite en opposition à l’organisation traditionnelle de la société dite d’ancien régime et est le fait de la classe bourgeoise dont les traits mentaux principaux sont la frustration et l’envie : frustration de ne pas participer à l’État et envie de vivre sur le standard d’une aristocratie du reste bien dépravée.
    Plus l’humanité s’engage dans cette illusion plus elle s’éloignent de l’être tandis que Zaïd gagne une liberté d’autant plus vaste qu’elle se fonde sur la connaissance de son être jusqu’à s’identifier à l’Être.
    Dans ce cheminement, Zaïd apprend à voir l’être non seulement en chaque être humain mais dans l’animal, le végétal et le minéral. Dans ce cheminement, Saïd reconnaît son semblable, s’émerveille de la multiplicité et se laisse surprendre à chaque instant par l’unicité des créatures. Dans ce cheminement, Zaïd n’a pas à faire de choix car il est constamment devant sa réalité qui le guide. Dans ce cheminement, Zaïd ne se pose pas la question de la liberté car il se sait l’esclave de son Seigneur. Et il sait que seul son Seigneur détient la clé de son affranchissement.

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