Rencontre avec le Maître : Amour

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Lors qu’un état de rupture est à se vivre, peut-on considérer qu’un autre être, qui n’a pas vécu semblable fait, puisse saisir réellement cela ? Comment peut-on percevoir que celui qui le vit a basculé dans un autre champ de perception, et qu’il voit le monde, l’inframonde et même le supramonde à partir de cette ouverture ? Cela invalide-t-il l’expérience de l’autre, sa vie non rompue à cette ouverture spirituelle ? Lors, je dirai : n’est-ce pas plutôt le moment de la Rencontre ? D’une véritable Rencontre ? Or, peu sont amenés à vouloir vivre Celle-ci. Tout, hors du champ de perception connu, suscite une réaction, pour la plupart, de rejet et même de peur. La tentation de normalisation est récurrente. Elle est aussi, malheureusement, révélatrice d’une incapacité à s’émerveiller. L’on confond aisément joie profonde avec euphorie émotionnelle, cette pathologie de l’insouciance liée à un individualisme éhonté. L’on confond aisément Amour et Voie d’Amour. Les mots deviennent les projections d’un monde exclusif, réducteur, s’excluant de la substance, niant l’essence ; ce monde est celui que l’on se fabrique en permanence, car, hors des sentiers battus, la plupart éprouvent une viscérale peur. L’on traduit le vivant avec les outils programmés, stéréotypés, ceux que l’on croit posséder, connaître et maîtriser. Ainsi, l’on entre dans le règne de la solidification, celui de la quantité. L’homme s’inscrit derechef comme un numéraire de plus dans l’océan d’une multitude chaotique. Il façonne un océan à son image. Pour d’autres, il s’agira, tout simplement d’une minuscule flaque d’eau. Mais je gage qu’ils ne soient plus à même de voir celle-ci. Tout au plus, la contourneront-ils.

La spiritualité déstabilise. Dites-moi alors si la fonction de cette dernière est de renforcer notre connu ou bien de nous donner enfin à voir ce qui est caché en nous ? Voici ce que je dis : celui qui cherche son connu ne connaît rien. Celui qui cherche son connu, qu’il s’asseye face à son miroir et se contente de son reflet ! Qu’il s’en gargarise et s’en repaisse ! Cela nous est arrivés à tous. Que l’on ne prenne pas mal ces paroles ! Être un postulant, c’est accepter d’abandonner, au seuil de la Porte, toutes ses opinions, tous ses préjugés ; c’est surtout accepter de faire acte d’abandon, de se mettre en état de recevoir. Cela peut prendre des années. Et alors ? A-t-on mieux à faire ? Qu’on le fasse donc, si telle est notre conviction ! Être postulant, c’est accepter de n’être plus son propre jouet, son propre marché de dupes. De fait, il s’agit d’un véritable pas vers la délivrance. Le marcheur connaît ou reconnaît la merveille d’une telle démarche. Autre chose : l’état de disciple est un état de va-nu-pieds. Qu’on ne voit donc pas autre chose ! Il ne peut d’ailleurs en être autrement.

L’homme réfractaire remet en doute les autres. L’homme oriental (orienté) se remet en doute d’abord. Untel partira de lui-même, c’est-à-dire de lui à lui, et untel partira depuis le Soi, depuis Lui. Ne pensez pas que cette démarche soit aisée, ni inféconde, ni même sans effet. Chaque fois qu’un voile nous est révélé, nous sortons d’une ténèbre vers la Lumière. Voir la ténèbre, c’est voir la Lumière. Or, qui dit Lumière au sein même de l’obscurité, dit descente dans les abîmes. Mais qui dit descente dans les abîmes, dit apprentissage, transformation, Remontée et Connaissance. L’état d’Eveil est justement le fait de se réveiller. Se réveiller, c’est aller vers l’Eveil. Mais l’Eveil est précisément source de connaissance et de sagesse.

Je ne crois pas que l’on parvienne à son guide intérieur par soi-même. Je n’y crois pas une seule seconde. Nous faisons un pas. Oui, nous faisons bien un pas. Mais à la longue, nous comprenons que c’est Lui qui vient depuis toujours. Il nous prend, nous renverse, nous secoue. Il nous montre la Voie. Il nous dit : Ce n’est pas cela. Il le répète inlassablement. Il nous le dit par Son Silence, par une myriade de langages. Il nous le dit par le geste, par la Présence. Il nous le dit sous toutes les formes. Il va jusqu’à nous énoncer : Que crois-tu ? Crois-tu donc que tu vas y parvenir par toi-même ? Pourtant, ces mots sont une éclatante bénédiction. Ces mots nous percutent et nous font entrer dans le Hors-Temps, le Hors-Espace. Ces paroles sont la vérité qui nous tient jour et nuit. Ces paroles sont notre Echo-résonnance, profond, fondateur de notre ébranlement, de notre restauration, de notre cheminement, de notre Retour. Mille épreuves viennent à notre rencontre. Et alors ? Je le dis, en vérité, sans la Voie d’Amour nous sommes perdus dans une nébuleuse, et à l’image d’un souriceau, nous tournons sur nous-mêmes. Sans la flèche puissante de Son Amour, transperçant nos résistances, nos implacables murs, sans cet Amour défiant toutes les puissances, sans la pulvérisation de notre être, nous sommes les balbutiants de notre vie.

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