L’autophagie du monde : pour éviter le chausse-trappe final 2

manipulation

 

     Certes, la démocratie est aussi le système le plus participatif et donc le plus imprévisible mais dont les effets pervers sont largement neutralisés par le contrôle monopolistique des grands outils de l’information et donc le pouvoir de manipuler les individus et les masses. Sylvain Timsit dresse l’éventail de cette manipulation en dix stratégies, un texte qui par ailleurs circule très largement sur Internet (9) :

1/ La stratégie de la distraction

Élément primordial du contrôle social, la stratégie de la diversion consiste à détourner l’attention du public des problèmes importants et des mutations décidées par les élites politiques et économiques, grâce à un déluge continuel de distractions et d’informations insignifiantes. La stratégie de la diversion est également indispensable pour empêcher le public de s’intéresser aux connaissances essentielles, dans les domaines de la science, de l’économie, de la psychologie, de la neurobiologie, et de la cybernétique. « Garder l’attention du public distraite, loin des véritables problèmes sociaux, captivée par des sujets sans importance réelle. Garder le public occupé, occupé, occupé, sans aucun temps pour penser; de retour à la ferme avec les autres animaux. » Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

2/ Créer des problèmes, puis offrir des solutions

Cette méthode est aussi appelée « problème-réaction-solution ». On crée d’abord un problème, une «situation» prévue pour susciter une certaine réaction du public, afin que celui-ci soit lui-même demandeur des mesures qu’on souhaite lui faire accepter. Par exemple: laisser se développer la violence urbaine, ou organiser des attentats sanglants, afin que le public soit demandeur de lois sécuritaires au détriment de la liberté. Ou encore : créer une crise économique pour faire accepter comme un mal nécessaire le recul des droits sociaux et le démantèlement des services publics.

3/ La stratégie de la dégradation

Pour faire accepter une mesure inacceptable, il suffit de l’appliquer progressivement, en « dégradé », sur une durée de 10 ans. C’est de cette façon que des conditions socio-économiques radicalement nouvelles (néolibéralisme) ont été imposées durant les années 1980 à 1990. Chômage massif, précarité, flexibilité, délocalisations, salaires n’assurant plus un revenu décent, autant de changements qui auraient provoqué une révolution s’ils avaient été appliqués brutalement.

4/ La stratégie du différé

Une autre façon de faire accepter une décision impopulaire est de la présenter comme « douloureuse mais nécessaire », en obtenant l’accord du public dans le présent pour une application dans le futur. Il est toujours plus facile d’accepter un sacrifice futur qu’un sacrifice immédiat. D’abord parce que l’effort n’est pas à fournir tout de suite. Ensuite parce que le public a toujours tendance à espérer naïvement que « tout ira mieux demain » et que le sacrifice demandé pourra être évité. Enfin, cela laisse du temps au public pour s’habituer à l’idée du changement et l’accepter avec résignation lorsque le moment sera venu.

5/ S’adresser au public comme à des enfants en bas-âge

La plupart des publicités destinées au grand-public utilisent un discours, des arguments, des personnages, et un ton particulièrement infantilisants, souvent proche du débilitant, comme si le spectateur était un enfant en bas-âge ou un handicapé mental. Plus on cherchera à tromper le spectateur, plus on adoptera un ton infantilisant. Pourquoi ? « Si on s’adresse à une personne comme si elle était âgée de 12 ans, alors, en raison de la suggestibilité, elle aura, avec une certaine probabilité, une réponse ou une réaction aussi dénuée de sens critique que celles d’une personne de 12 ans ». Extrait de Armes silencieuses pour guerres tranquilles.

6/ Faire appel à l’émotionnel plutôt qu’à la réflexion

Faire appel à l’émotionnel est une technique classique pour court-circuiter l’analyse rationnelle, et donc le sens critique des individus. De plus, l’utilisation du registre émotionnel permet d’ouvrir la porte d’accès à l’inconscient pour y implanter des idées, des désirs, des peurs, des pulsions, ou des comportements…

7/ Maintenir le public dans l’ignorance et la bêtise.

Faire en sorte que le public soit incapable de comprendre les technologies et les méthodes utilisées pour son contrôle et son esclavage. La qualité de l’éducation donnée aux classes inférieures doit être la plus pauvre, de telle sorte que le fossé de l’ignorance qui isole les classes inférieures des classes supérieures soit et demeure incompréhensible par les classes inférieures. Extrait de Armes silencieuses pour guerres tranquilles.

8/ Encourager le public à se complaire dans la médiocrité et à trouver « cool » le fait d’être bête, vulgaire, et inculte…

9/ Remplacer la révolte par la culpabilité

Faire croire à l’individu qu’il est seul responsable de son malheur, à cause de l’insuffisance de son intelligence, de ses capacités, ou de ses efforts. Ainsi, au lieu de se révolter contre le système économique, l’individu s’auto-dévalue et culpabilise, ce qui engendre un état dépressif dont l’un des effets est l’inhibition de l’action. Et sans action, pas de révolution !…

10/ Connaître les individus mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes…

     Au cours des 50 dernières années, les progrès fulgurants de la science ont creusé un fossé croissant entre les connaissances du public et celles détenues et utilisées par les élites dirigeantes. Grâce à la biologie, la neurobiologie, et la psychologie appliquée, le « système » est parvenu à une connaissance avancée de l’être humain, à la fois physiquement et psychologiquement. Le système en est arrivé à mieux connaître l’individu moyen que celui-ci ne se connaît lui-même. Cela signifie que dans la majorité des cas, le système détient un plus grand contrôle et un plus grand pouvoir sur les individus que les individus eux-mêmes.

     Quand on sait que la plupart des médias (radio, télévision et presse) sont concentrés entre les mains de quelques groupes, il est permis de douter de la réalité d’une prétendue liberté de la presse revendiquée par beaucoup de journalistes. (10) Rouage essentiel d’une démocratie, la presse d’opinion se doit normalement d’être financièrement indépendante. C’est de moins en moins le cas et rares sont les titres qui peuvent se targuer de cette qualité. (11) Idem pour les radios. (12)

     Les médias français se proclament  » contre-pouvoir », annonce le synopsis de l’ouvrage de Serge Halimi sur ce sujet sensible. Mais la presse écrite et audiovisuelle est dominée par un journalisme de révérence, par des groupes industriels et financiers, par une pensée de marché, par des réseaux de connivence. Alors, dans un périmètre idéologique minuscule, se multiplient les informations oubliées, les intervenants permanents, les notoriétés indues, les affrontements factices, les services réciproques. Un petit groupe de journalistes omniprésents – et dont le pouvoir est conforté par la loi du silence – impose sa définition de l’information-marchandise à une profession de plus en plus fragilisée par la crainte du chômage. Ces appariteurs de l’ordre sont les nouveaux chiens de garde de notre système économique. (13)

     Le vrai contre-pouvoir ne se trouve donc pas là où l’on pense, bien au contraire, mais dans la réinformation. Celle-ci consiste à se faire sa propre opinion sur les événements, à préférer l’expérience directe à l’écran plat qui fait… écran, à explorer la presse et les sites alternatifs, à consulter la réinfosphère, enfin, à plutôt lire les analyses parues dans les livres que la presse subventionnées et sous contrôle. La Toile offre encore cette latitude dans de nombreux pays mais la censure guette et attend son heure, c’est-à-dire un prétexte. (14) On imagine mal, en effet, qu’un tel outil puisse échapper encore longtemps à la supervision des pouvoirs en place.

 

Marc Sinniger, L’Autophagie du monde

Notes

(9) Syti.net

(10) L’avionneur Dassault, par exemple, contrôle entièrement la Socpresse qui jusqu’en 2004 détenait 70 titres de presse dont l’Express, le Figaro, Valeurs Actuelles ainsi que plusieurs quotidiens nationaux et régionaux.

(11) Le quotidien britannique The Guardian, par exemple, crée en 1821, réputé pour sa qualité, propriété de la fondation Scott trust, jouit d’une indépendance légendaire.

(12) Radio Courtoisie, par exemple, est une radio associative qui ne vit que par les cotisations de ses auditeurs.

(13) Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, Éditions Liber-Raisons d’agir 2005. Sur le même sujet, voir l’article de Pelemail Médias, la pensée unique aux mains des multinationales, sur le site Les Ogres.info (18.12.2009).

(14) En France, un prochain décret pourrait obliger les hébergeurs et les fournisseurs d’accès à internet à retirer ou filtrer tout contenu qualifié notamment d' »atteinte à l’ordre public et à la protection des personnes », une définition très large menaçant l’expression libre.

Voir aussi : Maurice Joly, Dialogues aux enfers entre Machiavel et Montesquieu (1864)

2 commentaires sur “L’autophagie du monde : pour éviter le chausse-trappe final 2

  1. Un « enfant en bas-âge », c’est 5 ans, pas 12 ans. A 11 ans on a acquis l’essentiel des capacités de pensée rationnelle des adultes, et à 15 ans on est au sommet de sa puissance intellectuelle. Celle-ci décline après 18 ans, mais on compense par l’expérience et les connaissances acquises.
    Toutes les expériences scientifiques de psychologie menées sur les enfants montrent qu’ils ont des capacités supérieures à celles que leur prêtent les adultes.
    Notre société infantilise la jeunesse à des âges de plus en plus élevés, et vous reproduisez cela dans vos jugements.

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    • Je n’ai personnellement aucune compétence en la matière, quoique l’estampille « recherches scientifiques » n’ait plus, dans mon esprit, valeur d’imprimatur, au sens de parole infaillible. Mais je veux bien considérer la question, d’autant plus qu’elle ne manque pas d’interpeller et même, d’éveiller la curiosité. Cela dit, je pense que l’auteur de ce « jugement », à savoir Sylvain Timsit, voulait plutôt, dans son propos, mettre l’accent sur l’idée de s’adresser à quelqu’un sous son niveau réel.

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