Sur les traces de la religion pérenne, Frithjof Schuon*

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Avant-propos

 

      A travers toute notre œuvre, nous avons traité de la Religion pérenne, explicitement ou implicitement, et en connexion avec les diverses religions qui d’une part la voilent, et d’autre part la font transparaître ; et nous croyons avoir donné de cette Sophia primordiale et universelle un aperçu homogène et suffisant, malgré notre manière discontinue et sporadique de nous y référer. Mais la Sophia perennis est de toute évidence inépuisable et n’a pas de limites naturelles, même dans un exposé systématique tel que le Vêdânta ; ce caractère de système n’est d’ailleurs ni un avantage ni un désavantage, il peut être l’un ou l’autre suivant le contenu ; la vérité est belle sous toutes ses formes. En fait, il n’y a aucune grande doctrine qui ne soit pas un système, et aucune qui s’exprime d’une façon exclusivement systématique.

     Comme il est impossible d’épuiser tout ce qui se prête à l’expression, et que la répétition en matière métaphysique ne saurait être un mal, il vaut mieux être trop clair que de ne l’être pas assez, nous avons cru pouvoir revenir à nos thèses de toujours, soit pour proposer des choses que nous n’avions pas encore dites, soit pour exposer d’une manière utilement nouvelle celles que nous avions dites. Si le nombre des données fondamentales d’une doctrine, par définition abstraite, est plus ou moins limité par la force des choses, c’est la définition même d’un système, car les éléments formels d’un cristal régulier ne sauraient être innombrables, il n’en va pas de même des illustrations ou des applications, qui sont sans limites et dont la fonction est de mieux faire saisir ce qui, de prime abord, paraît n’être pas assez concret.

     Encore une remarque, d’ordre plus ou moins personnel celle-ci : nous avons grandi à une époque où on pouvait encore dire, sans devoir rougir de sa naïveté que deux et deux font quatre ; où les mots avaient encore un sens et voulaient dire ce qu’ils veulent dire ; où on pouvait se conformer aux lois de la logique élémentaire ou du sens commun, sans devoir passer par la psychologie ou la biologie, ou la soi-disant sociologie, et ainsi de suite ; bref, où il y avait encore des points de référence dans l’arsenal intellectuel des hommes. Nous voulons faire entendre par là que notre façon de penser et notre dialectique sont délibérément désuètes; et nous savons d’avance, car cela est trop évident, que le lecteur auquel nous nous adressons nous en saura gré.

 

PRÉMISSES ÉPISTÉMOLOGIQUES

 

     Le terme de philosophia perennis, qui est apparu dès la Renaissance, et dont la néoscolastique a fait largement usage, désigne la science des principes ontologiques fondamentaux et universels ; science immuable comme ces principes mêmes, et primordiale du fait même de son universalité et de son infaillibilité. Nous utiliserions volontiers le terme de sophia perennis pour indiquer qu’il ne s’agit pas de « philosophie » au sens courant et approximatif du mot — lequel suggère de simples constructions mentales, surgies de l’ignorance, du doute et des conjectures, voire du goût de la nouveauté et de l’originalité, ou encore nous pourrions user du terme de religio perennis en nous référant alors au côté opératif de cette sagesse, donc à son aspect mystique ou initiatique (1). Et c’est pour rappeler cet aspect, et pour indiquer que la sagesse universelle et primordiale engage l’homme entier, que nous avons choisi pour notre livre le titre de « Religion pérenne » ; pour indiquer aussi que la quintessence de toute religion est dans cette religio métaphysique, et qu’il faut connaître celle-ci si l’on veut rendre compte de ce mystère à la fois humain et divin qu’est le phénomène religieux. Or, rendre compte de ce phénomène « surnaturellement naturel » est assurément l’une des tâches les plus urgentes de notre époque.

     Quand on parle de doctrine, on pense tout d’abord, et avec raison, à un éventail de concepts concordants ; mais il faut tenir compte aussi de l’aspect épistémologique du système envisagé, et c’est cette dimension, qui elle aussi fait partie de la doctrine, que nous voulons examiner ici à titre introductoire. Il importe de savoir avant tout qu’il est des vérités qui sont inhérentes à l’esprit humain mais qui, en fait, sont comme ensevelies au « fond du cœur », c’est-à-dire contenues à titre de potentialités ou de virtualités dans l’Intellect pur : ce sont les vérités principielles et archétypiques, celles qui préfigurent et déterminent toutes les autres. Y ont accès, intuitivement et infailliblement, le «gnostique», le «pneumatique», le «théosophe», au sens propre et originel de ces termes et y avait accès par conséquent le «philosophe» selon la signification encore littérale et innocente du mot : un Pythagore ou un Platon, et en partie même un Aristote, en dépit de sa perspective extériorisante et virtuellement scientiste.

    Et ceci est de première importance : s’il n’y avait pas le pur Intellect, la faculté intuitive et infaillible de l’Esprit immanent, il n’y aurait pas non plus la raison, car le miracle du raisonnement ne s’explique et ne se justifie que par celui de l’intellection. Les animaux n’ont pas la raison parce qu’ils sont incapables de concevoir l’Absolu; autrement dit, si l’homme possède la raison, et avec elle le langage, c’est uniquement parce qu’il a accès en principe à la vision suprarationnelle du Réel et par conséquent à la certitude métaphysique.

 

*Frithjof Schuon


(1) Spécifions à cette occasion que nous n’en voulons pas au terme de « philosophie », car les Anciens l’appliquaient à tout genre de sagesse authentique ; mais en fait, le rationalisme sous toutes ses formes, y compris ce que nous pourrions appeler l’«infrarationalisme» , a donné à ce terme un sens restrictif, en sorte qu’on ne sait jamais quelle portée lui donner ; si Plotin est un philosophe, Descartes ne saurait en être un, sauf au point de vue tout extrinsèque du genre littéraire, et inversement.

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Un commentaire sur “Sur les traces de la religion pérenne, Frithjof Schuon*

  1. Une introduction concise et très éclairante sur les fondamentaux de la métaphysique et qui replace la philosophie dans sa vraie dimension. Nous ne sommes plus dans la pensée rationaliste, spéculative et discursive, qui tend toujours, quelque part, à vouloir se démontrer elle-même, mais dans la pensée intuitive, intellective* et prospective. Qui ne cherche pas à établir un système mais à les dépasser tous. La philosophia perennis nous mène sur la voie du Par-delà en laquelle s’entrelacent les chemins de convergence. Merci pour la mise en ligne de ce texte.

    * Qui ne cherche pas tant le sens comme explication (c’est-à-dire une suite analytique de « comment ») que le sens comme direction, c’est-à-dire comme perspective de cheminement et donc comme conduite d’ajustement à l’Un, au sein de l’existenciation.

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