
Image trouvée sur le net : aquarelle au café
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Si tu venais à disparaître, je me sentirais disparue à mon tour, déclara Héloïse, un matin, lors qu’ils prenaient leur petit-déjeuner ensemble. Ils aimaient ainsi s’attarder devant la table, table ronde qui accueillait patiemment, jour après jour, leurs interminables entretiens. C’était sans doute à cette heure-ci de la journée qu’ils avaient les idées les plus claires, les idées auréolées d’une nuit profonde et réparatrice. Le café fumait, délectable et chaleureux. Son effluve emplissait la pièce entière, capitonnait chaque objet, chaque étoffe de son être dense et léger tout à la fois. Dès l’aube, il sortait le beurre afin que celui-ci gagnât en onctuosité. Il s’occupait de dresser la table, tandis qu’elle finissait de ranger la chambre. Héloïse le laissait faire. Elle s’étonnait à peine de le voir s’affairer dans la cuisine. Cela répandait, en petites touches, en elle et tout autour, un parfum agréable de douceur et d’harmonie. C’était très tardivement qu’elle s’était mise à boire du café sans ajout de lait, et ce, pour la simple raison, qu’elle aimait se sentir submergée totalement par son arôme. Une maison sans café lui semblait sans vie. Cela remontait à son enfance, alors que très tôt, son père préparait la boisson, quasi sacrée, pour toute la maisonnée. Héloïse se souvenait du bruit de la machine à café qui mixait le grain. Puis, du sifflement de la cafetière. Quels bruits rassurants pour l’enfant qu’elle était ! Quelle senteur mémorable !
Elle souriait en allant le rejoindre.
La disparition de l’autre lui faisait peur. Elle ne pensait pas à la mort. Elle ne s’en préoccupait pas. Mais, la question qui l’avait taraudée depuis toutes ces années était celle même qui ouvre le chemin de la Quête spirituelle. Où retrouver ceux qui nous sont chers, une fois qu’ils sont partis ? Un point au plus profond d’elle-même se matérialisait avec le temps. Il se concentrait, s’intensifiait. Il était semblable à un point de germination. Par cette vision très précise, elle comprenait que ce point était la clé de tout. Tel un grain, il contenait chaque instant, chaque présent, chaque réalité. Simultanément, le grain devenait un contenant, à la fois matérielle et à la fois éthéré. Ce point lui énonçait les choses, écartait les voiles, la faisait entrer dans un autre monde. Il était aussi un îlot, la croisée, entre le mouvement. Elle était ici. Elle était ailleurs. Si tu venais à disparaître, je disparaîtrais avec toi. Je m’en irais là où tu iras. Je rejoindrais le point de convergence entre les deux mondes. J’entrerais dans ce point et j’attendrais, comme j’attends la Loi. La Loi de toutes choses. Celle qui nous unit, celle qui nous maintient, celle qui nous fait éclore. Celle qui nous fait parler, celle qui nous révèle la connaissance.
Il l’écoutait très attentivement. Il savait qu’Héloïse parlait avec son cœur, avec ses veines, avec son sang. Il savait qu’elle ne feignait pas, que ses mots étaient faits de chair et d’esprit. Il se noyait dans ses mots, s’envolait dans des sphères inconnues, mais réelles. De cela, il était sûr. Certes, cette femme n’était pourtant pas comme toutes celles qu’il avait rencontrées. Insaisissable et tellement présente ! Ne lui avait-elle pas lancé avec toute sa fougue : J’aspire au vrai ! Tu dois être vrai. Tu dois le chercher au plus profond de toi-même, l’appeler, n’être plus que lui. Je ne voudrais pas d’une relation tiède, ni fausse, ni à moitié ! finissait-elle avec un air entendu. Il savait qu’Héloïse ne supporterait plus aucune traîtrise, aucun parjure, aucune contrefaçon. Sa douceur cachait une fermeté, bien légitime. Il savait aussi que ce monde était un véritable lieu de perdition, de confusion et de jeux interminables. Il était lui-même, fatigué, harassé. Il n’avait que trop bien compris que les brumes de l’être sont quasi inextricables et qu’il fallait une force gigantesque pour affronter le réel, le vrai. Ne marchait-on pas, pieds nus, sur des braises ardentes ? Quel volcan en ébullition ! La véritable relation est une relation de convergence. Ne l’avait-il pas, une myriade de fois, déclaré ? Il se tenait silencieux, levait son regard en lui-même et finissait par hocher de la tête. Héloïse était la représentation parfaite du temps qui s’arrête. Elle était bien plus ancrée que lui qui fuyait sans cesse. Elle se tenait droite et demeurait fidèle à chacun de ses mots. Si tu venais à disparaître, je sais qu’il existe un lieu où les retrouvailles sont une danse perpétuelle. S’éteindre, c’est le vrai. Mourir, c’est être. Crucial moment ou le souffle entre en apnée et tout se révèle ! Faut-il, pour cela, le vivre avant de mourir !
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© Océan sans rivage, Chemin de Convergence ou L’Arborescence Inouïe
Ce beau dialogue entre un homme et une femme. Cette belle harmonie! Très beau, Naïla!
Merci pour ces beaux fruits.
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Merci Irène. Ces beaux fruits sont beaucoup de balbutiements dans la crucialité. Ils Lui appartiennent, de toute façon.
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